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La pub renonce enfin aux clichés !

Depuis #metoo, en matière de féminisme, les publicitaires lavent plus blanc que blanc… et parfois, les ficelles sont un peu grosses.

Dans cette campagne mondiale de 2018, baptisée « Women not objects », des mannequins dénoncent la vision dégradante des femmes que diffusent certaines publicités, avec des images à l’appui. Le spot se termine ainsi : « Je suis votre mère, sœur, fille, collègue, manageuse, PDG. Ne vous adressez pas à moi de la sorte. » A l’origine de cette initiative, une publicitaire américaine : Madonna Badger. La patronne de l’agence Badger, qui imagina la pub Calvin Klein avec Kate Moss la bouche entrouverte et les seins en avant, a pris conscience de l’étendue du sexisme dans la publicité en tapant « femmes objets » dans Google Images.

Gilles Masson, patron de l’agence Australie.GAD nous explique que la pub est basée sur la création de désir, sur le fantasme des hommes. Elle fabrique des stéréotypes. Elle les impose et les détruit. Ce sont les marques qui ont le plus participé à la diffusion de ces clichés sexistes qui les ont ensuite le plus combattus.

Ces dix dernières années, deux phénomènes ont, en effet, profondément transformé le secteur : la communication « corporate » et #metoo (moi aussi). La mondialisation des campagnes publicitaires et la fragmentation du public avec les réseaux sociaux ont obligé les marques à recentrer leur discours sur leurs valeurs davantage que sur les produits. Mercedes Erra, fondatrice de l’agence BETC nous confirme « Depuis dix ans est monté le thème de l’entreprise, parce que les gens n’ont plus confiance dans la politique. Les marques se sont mises à avoir des combats, parmi lesquels le féminisme ».

Une sorte de mea culpa

Avant le grand tournant #metoo, il y avait bien eu quelques inflexions. En 2004, dans le spot     « Real Beauty », des femmes « normales » s’exposaient en sous-vêtements basiques pour les produits Dove (Unilever). A l’origine de ce choix, une étude menée par la marque révélant que seulement 2 % des femmes se trouvaient belles.

A l’époque, des recherches universitaires alertent sur le fait que le recours à la chirurgie explose chez les adolescentes américaines. L’anorexie est courante et les troubles alimentaires touchent à 90 % les femmes. « Il n’y avait qu’un standard de beauté : grande, mince, longues jambes, peau blanche, cheveux blonds, longs, lisses. Pratiquement personne ne correspondait à ces critères », racontait, en 2018, sur le site Infopress, Janet Kestin, cofondatrice de l’agence Swim, chargée de cette campagne qui a eu un impact certain sur l’industrie publicitaire.

« Le moment est venu pour nous, en tant qu’industriels, de changer la façon dont nous représentons les genres masculin et féminin dans nos publicités » Keith Weed, directeur du marketing du groupe Unilever.

Forme de démagogie

En 2021, la marque de lingerie Darjeeling frappe un grand coup en choisissant pour égérie la mannequin Caroline Ida Ours, 62 ans, afin de prouver que les femmes de plus de 50 ans, largement invisibilisées, ne sont pas « périmées ».

Gilles Masson analyse qu’il y a une réception différente aujourd’hui de ce type de campagnes en fonction des âges, car la jeune génération, qui est extrêmement vigilante sur ces questions, trouve ça génial. Le produit (la lingerie) n’est pas sublimé, mais la pub crée un désir intellectuel sur la posture de la marque. En montrant des femmes rondes, poilues et d’un certain âge, elle propose d’autres modèles du féminin aux ados d’aujourd’hui, qui vont construire différemment leur identité.

Mais gare au retour de bâton. « Parfois, on va trop loin dans une forme de démagogie pour ne pas rater l’époque, souligne Gilles Masson. Il ne faut jamais oublier que le public est intelligent et que ça peut se retourner contre les marques.»

La cause des femmes serait-elle instrumentalisée ? « On fabrique des trucs bidon, où on ne vend rien, à part la réputation de l’agence pour se faire mousser dans les festivals de publicité. Il y a un sujet sur la sincérité des marques et des publicitaires, ajoute Christophe Lichtenstein, patron de l’agence Romance. Pendant ce temps, le problème de fond n’est pas réglé. Communiquer ne suffit pas, il faut agir. »

« Les ficelles du sexisme sont moins grosses et l’interprétation est plus complexe, mais les messages restent les mêmes : la femme objet, cantonnée au “care”, l’idiote » – Jeanne Guien, porte-parole de RAP( Résistance à l’agression publicitaire)

Surtout, il y a des abus nouveaux : on reprend des thèmes féministes pour vendre en recourant aux stéréotypes sexistes », dit Jeanne Guien, porte-parole de RAP et spécialiste du consumérisme. « Dire que grâce à telle marque la conscience environnementale ou la cause des femmes va évoluer, c’est faux, affirme Christophe Lichtenstein. Mais quand elle est vertueuse, la publicité amplifie les causes justes de l’époque. » L’importance des réseaux sociaux a aussi conduit à une édulcoration globale des messages et à une tendance au « feminismwashing », aussi appelé « purplewashing »  c’est-à-dire le fait d’utiliser la cause des femmes à des fins de marketing,  très porteur en matière d’image.

« On marche vers un monde nouveau où les filles ne sont plus ce qu’elles étaient et les garçons non plus ; l’identité s’est complexifiée, et le genre fluidifié », analyse Mercedes Erra. La présidente de l’agence BETC (à qui son premier patron avait dit que le métier était trop dur pour une femme) participe au collectif Sista, qui a réalisé une campagne, en mars, pour dénoncer les clichés sur les femmes, même lorsqu’elles sont dites « puissantes ». Dans la vidéo, huit grands patrons répondent à des questions habituellement posées aux dirigeantes d’entreprise sur leur légitimité, la conciliation entre travail et famille et leur… « morning routine ». « Bah, je me lève et je me douche », répond François-Henri Pinault, dans un rire gêné.

Le monde, Magali Cartigny, 28 août 2022