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Ce nouvel accessoire à la mode !

Exhiber nos bouquins serait notre nouveau moyen de faire rutiler nos égos sur les réseaux sociaux. Au point de voir de nouveaux métiers émerger comme le « book stylist ».

Pour briller en société, il faut : avoir un sens aigu de la mode (jongler modestement avec les termes 2014 soft grunge, grandpacore ou encore Coconut Girl ou Twilightcore), voyager en solo, réussir son célibat et pratiquer le birding en forêt. Mais aussi présenter son intérieur comme un modèle de coolitude. Comme l’exige le maximalisme, il est censé regorger de bibelots vintages et de plantes vertes. Mais également de bouquins, que la lecture soit votre truc – ou pas. Car dorénavant, le livre est devenu un accessoire de mode comme un autre. Au point même d’inspirer la création d’un nouveau métier : « book stylist », styliste de livres, donc…

Bouquiner est le nouveau clubber ?

Sur les réseaux, les livres ont la cote. Au fil des confinements, les Z ont constitué sur TikTok une sorte de grand club de lecture où chacun partage recommandations, coups de cœur, critiques acerbes et derniers achats. Baromètre de la tendance, les hashtags #booktok
(50,2 milliards de vues), #shelfdecor (31 millions de vues), #bookish (presque 7 milliards de vues) ou encore l’incontournable #bookshelf, avec plus d’un 1,2 milliard de vues, qui est la version bouquin des vidéos haul Shein… Autre indicateur de la tendance, l’explosion de la mention bookworm (rat de bibliothèque), avec plus de 8,5 milliards de vues. Sur YouTube aussi les millennials s’en donnent à cœur joie, entre vidéos décortiquant les tropes les plus populaires de la littérature young adult et des conseils d’écriture de roman en 30 jours.

Les livres supplantent les sacs à main

Sauf qu’aujourd’hui, la littérature n’est plus seulement un art, c’est aussi un argument de vente. Et certaines marques l’ont bien compris. En 2018, Valentino a fait appel à la poétesse Rupi Kaur pour une performance à Tokyo. Cette année, la maison de couture italienne a mis en place The Narratives, une campagne de pub basée sur du texte, développée en partenariat avec Belletrist, un réseau social dédié à la lecture, cofondé par l’actrice américaine Emma Roberts. Chez Dior, la collection automne 2022 des hommes a été présentée sur un podium où était présentée la première version du manuscrit de Sur la route de Jack Kerouac.

Et la tendance n’est pas circonscrite aux marques. En effet, l’engouement pour la lecture n’est plus seulement un trait de personnalité, c’est aussi un outil de « personal branding », c’est-à-dire un moyen de se mettre en scène sur les réseaux. À Los Angeles, célébrités et influenceurs feraient désormais appel à des book stylists. La chose n’est admise que du bout des lèvres, note The New York Times. Leur job ? Sélectionner des livres à lire, à laisser trainer en arrière-plan de ses photos Instagram et à arborer dans la rue négligemment. Ou dans le cas de Kendall Jenner, sur son yacht.

Les livres, une commodité comme les autres

Mais plus que lire ou écrire, il faut exhiber son imposante collection et son amour des livres en allant toujours plus loin dans la surenchère. Le comble du chic : faire passer son rapport aux livres pour une #addiction dont on est peu fier (mais en fait si). Sur les réseaux fleurissent aussi de nombreuses vidéos expliquant comment mettre en valeur ses bouquins sur étagères, entre vases en céramique et petites plantes grasses mignonnes. La dernière mode : classer ses livres par couleur, histoire de satisfaire la Marie Kondo qui vit en nous.

Et pour ceux qui ont la flemme d’investir, il reste les livres sans pages vendus sur Amazon pour orner sa table basse. Certains y verront une habile invention, d’autres un point de bascule civilisationnel. Comme si on en manquait.

L’ADN, Laure Coromines, 26 avril 2022