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Quand trop de tendances tuent la tendance !

Les tendances ont perdu tout leur sens. Elles ne sont devenues  rien de plus qu’un divertissement frivole…

La fascination des marques (et des médias, pourrait-on rajouter) pour les modes et épiphénomène nés sur les réseaux aurait dévalué et dénaturé la prédiction des tendances. En théorie, le procédé plus ou moins rigoureux et cryptique sert à détecter un « changement social significatif : une pensée, un comportement, une valeur, une attitude collective émergente et déterminante. » Or, il s’agirait plutôt aujourd’hui d’énumérer signaux faibles (pas toujours significatifs mais souvent drôles) et gimmicks anecdotiques destinés à acquérir le titre de relique du Net pour servir des intérêts commerciaux.

Prédire les tendances pour conquérir la culture

Pour Fast Company, les principales coupables seraient les marques, désireuses de dominer la culture pour vendre plus, une hypothèse jamais démontrée mais communément acceptée.     « Les marques ont commencé à être obsédées par la « tendance » du jour, le hashtag, le mème du moment ou les esthétiques en « core ». (…) À la poursuite du cool, les marques ont perdu l’objectif de l’analyse culturel. La plupart des signaux considérés aujourd’hui comme des « tendances » ne sont en réalité rien de plus qu’un divertissement frivole. En bref, nous en sommes venus à confondre ce qui est « tendance » avec ce qui est une tendance. » Un sondage mené par Reddit début 2023 montre par exemple que près de la moitié des 1500 internautes interrogés n’avaient jamais entendu des tendances les plus discutées par les marketeurs (type cottagecore ou indie sleaze), et moins d’un quart y avaient participé.

Pourtant, le décryptage des tendances prospère : selon le média américain, la publication de rapports sur les tendances aurait pratiquement triplé depuis 2016. Parmi les causes avancées : l’envie compulsive de classer et d’organiser un réel anxiogène à une époque en proie aux polycrises massives, envie combinée à un vide culturel ambiant qui nous pousserait à créer artificiellement du neuf à partir de bribes glanés sur les réseaux et de hashtags viraux. Pour Matt Klein, responsable de la prospective chez Reddit, les tendances auraient ainsi « perdu tout leur sens ».

3 bonnes raisons d’arrêter de s’intéresser aux tendances

Il serait donc temps de mettre le holà. Pour commencer, tout cela nous fatigue. La multiplication de tendances éphémères, d’anti-tendances ou de tendances meta (comme le corecore, qui s’attache à décrire l’absurdité de la vie en ligne) produirait un sentiment d’urgence et d’accélération du temps éreintant mentalement. (Fast Company note d’ailleurs que 64 % de la population vit avec l’impression que la production culturelle s’accentue.) Ensuite, s’emparer d’une tendance serait aussi stérile pour les marques. Pour les consommateurs, la participation d’enseignes et d’entreprises à une tendance compromettrait directement cette dernière. Le média américain rapporte en effet que 66 % des sondés estiment que les marques « en font trop » dans leur décryptage et leur appropriation de mouvances nées en ligne. Ajoutons également qu’ériger des épiphénomènes au rang de tendances peut contribuer à détourner l’attention générale de problèmes diffus et systémiques, certes moins divertissants que le yuppie core ou l’Europecore, mais sensiblement plus sensibles.

ADN, Laure Coromines, 5 juin 2023