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Malaisant, sororité, woke, frère… Le vrai sens de ces mots à découvrir…

Certaines expressions sont parfois plus révélatrices que leur signification. Les mots charrient avec eux tout un univers quil convient de décrypter.

Chaque époque apporte son lot de mots nouveaux : tous les ans, les dictionnaires de Larousse et du Robert sélectionnent les innovations linguistiques qui figureront dans leurs pages. Mais, en plus de nommer un phénomène, le choix des mots, conscient ou non, témoigne d’un parti pris : le philosophe Jacques Dewitte, dans son ouvrage Pouvoir du langage et liberté de l’esprit (Michalon 2007), rappelle la responsabilité qu’induit notre manière de parler; car si le langage porte en lui « des instruments capables, en principe, de nommer toute réalité possible », les mots charrient avec eux tout un univers. Le langage ne se contente pas de décrire une réalité, il a aussi le pouvoir de créer, pour le meilleur ou pour le pire.

Conf call

Sorti tout droit de la novlangue managériale et du monde cauchemardesque de Linkedin, une conf call est une réunion de travail en visioconférence. De manière générale, les anglicismes pullulent dans les emplois de bureau: update, challenge, pitch… Marqueur d’appartenance, les anglicismes utilisés à tirelarigot permettent aux gagnants de la mondialisation, entre un brunch et un workshop (séminaire), de se différencier du reste de la population, qui se contente de parler français, une langue jugée bien moins cool.

Frère

« Ça va, frère ? », « T’as du feu, frère ? », l’appellation « frère » est devenue, depuis quelques années, le mot ponctuation des adolescents et des jeunes. S’ils ne sont pas membres d’une même famille, ils se nomment « frère » entre eux, garçons comme filles. Fait étonnant, ces dernières le préfèrent désormais au mot « sœur » !

Des variantes existent:

  • « frérot », « reuf » (verlan de « frère »),
  • « zincou », « zinc » (dérivé de « cousin »),
  • « le sang » (des liens d’amitié très forts).

Cette mode de s’appeler « frère», qui s’est généralisée à l’ensemble des jeunes de toutes les classes sociales, est la version française du brother (frère en anglais) et de son diminutif bro, distillé dans le rap et le hip-hop américain. Dans le rap français, du groupe marseillais IAM, qui chantait en 1997 « T’as gagné, frère » (Demain c’est loin), à Winnterzuko, qui scande           « Frérot, t’inquiète, je sais c’que tu vaux » en 2022 (Nascar), le mot est omniprésent. Et, le rap français étant incontournable chez les jeunes (73% des Français âgés de 18 à 35 ans confiaient au magazine musical Tsugi écouter du rap français), il influence naturellement leur langage.

Malaisant

Innovation linguistique entrée dans le Petit Robert en 2019, le mot                    « malaisant » défie les règles de la grammaire française. Pourtant, il apparaît dès le XIV° siècle, comme adjectif signifiant « malaisé, difficile ».

Si le mot est de plus en plus prononcé dans le langage courant, il est néanmoins surtout utilisé par les jeunes, et sur les réseaux sociaux, où le partage de contenu « malaisant » est une vieille tradition.

Récemment suspendu pour avoir enfreint les règles de Twitter, le compte @MalaiseTikTokFR rassemblait les vidéos les plus gênantes du réseau social TikTok, pour la plus grande joie de ses dizaines de milliers d’abonnés. Sur TikTok, les chorégraphies improbables, les challenges stupides, les sketchs plus ou moins drôles et les cosplays bizarres s’enchaînent, fleurant bon l’amateurisme qui fait son succès. Au vu du nombre de moments gênants qu’offrent les réseaux sociaux, le terme « malaisant » a de beaux jours devant lui.

Problématique

Pour une certaine gauche, le monde se divise en deux catégories : ce qui est safe (« sûr ») ou, a contrario, ce qui est « non safe » (« problématique »). Des militants officiant à la fois comme flics et comme curés jugent de ce qui est safe ou pas. Sur le site antigrossophobie Gras politique, une « carte des soignant.e.s» référence plusieurs centaines de médecins et les classe comme safe ou non safe sur la base de témoignages anonymes, sans aucune vérification et faisant passer les compétences médicales au second plan.

À la faculté de Nanterre, un violentomètre sur le sol, exposé sur Twitter en novembre 2022, explique qu’un prof est « safe » s’il enseigne mais qu’il est dangereux s’il « frappe, menace avec une arme ». Mais, comme le décrivait une enquête du magazine Néon menée en février 2021, « Pureté militante dans les milieux progressistes », personne n’est à l’abri de l’accusation d’être problématique, des militants se retrouvant à tour de rôle au cœur de la tourmente.

Sororité

Vertu cardinale du catéchisme néoféministe, ce terme est le pendant féministe de la fraternité, jugé trop peu inclusif. « Nous entendons faire de la sororité une exigence de conduite des femmes les unes vis-à-vis des autres », proclamait le collectif « Georgette Sand » dans les colonnes de Libération en 2019.

Si le mot est dégoulinant de bons sentiments, il sert souvent à dissimuler des petits arrangements juteux faits sur le dos des femmes. Sandrine Rousseau, députée EELV qui déclare « préférer les femmes qui jettent des sorts aux hommes qui construisent des EPR », n’a pas hésité, lors des législatives, à évincer de la neuvième circonscription de Paris la militante EELV Claire Monod. « La sororité, tu t’en souviens ? », questionnait cette dernière. Le privé n’est pas exempt de ce genre d’affaires : l’ex-publicitaire Christelle Delarue, fondatrice de l’agence féministe Mad&Woman et faisant de la lutte pour la place des femmes dans la publicité une priorité, s’est fait épingler dans le magazine Challenges par des ex-employées pour son comportement. Au programme :

  • harcèlement moral,
  • insultes sexistes,
  • salaires versés de manière aléatoire… Homme ou femme,

les affaires sont les affaires.

Woke

 Si Jean-François Braunstein, avec la Religion woke (Grasset), ou encore Renaud Garcia, avec le Désert de la critique (L’Échappée), ont analysé avec brio ce tournant idéologique d’une partie de la gauche, force est de constater que ceux qui utilisent le plus le mot «woke » n’ont pas lu ces ouvrages.

Pour les électeurs de droite, de ceux de Valérie Pécresse à ceux d’Éric Zemmour, tout est woke, sauf eux. Jean-Luc Mélenchon? L’islam? L’immigration? L’école? L’écologie? Woke ! Sur Twitter, une mère de famille se filmant en train de cuisiner des raviolis devient une héroine que « les malades mentaux/ wokistes/mondialistes détestent et combattent ». Voir des wokistes partout offre néanmoins l’avantage de détourner le regard de la réforme des retraites ou du démantèlement des services publics, tout en se donnant un air de preux chevalier à moindres frais.

Marianne, Blandine Doazan, 16  février 2023