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Parisiens, leur exode à la campagne n’est pas toujours simple. Mode d’emploi…

Les néoruraux traînent une sale réputation. Ils seraient snobs, obsédés par le travail à distance et feraient flamber les prix de l’immobilier. Si tout n’est pas faux, les Parigots doivent, pour s’intégrer, terrasser les clichés.

Avec un peu d’humour, sur Facebook , le Front de libération bordeluche face au parisianisme (FLBP) brocardait cette nouvelle vague d’immigrés. « C’est la journée européenne de la dépression. Un salut amical aux Parisiens qui sont venus vivre “dans le sud, à la mer” et qui se retrouvent à Villenave-d’Ornon sous la flotte. » Le Parisien est cet exilé pas toujours bienvenu, colporteur de maux qui le dépassent souvent (snobisme, haine du chant du coq, quinoa à tous les repas). Une sorte d’archétype, à l’instar du bobo. L’évacuation du centre névralgique de l’Hexagone suscitée par le confinement aura encore accentué cet agacement. En en ajoutant un peu sur le ton du snobisme, dans son journal du confinement, l’écrivaine Marie Darrieussecq, qui venait de la capitale pour s’installer dans sa maison de famille au Pays basque, écrit, en mars 2020 « Nous planquons au garage notre voiture immatriculée à Paris et prenons la vieille que nous gardons ici. Je sens qu’il n’est pas bon de rouler avec un 75 aux fesses… »

Fuir la foule, la pollution et la pendule

Une fois le déconfinement annoncé, ce qui n’était qu’un envahissement transitoire est devenu un vaste exode, s’inscrivant dans une dynamique plus large. De 2011 à 2016, Paris a perdu en moyenne chaque année 0,5 % de sa population, soit 11 900 habitants par an, selon l’Insee. Le mouvement devrait se poursuivre jusqu’en 2024-2025 d’après une projection de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR). Résultat : un phénomène global de migrations hétéroclites de citadins, cherchant une issue vers les espaces plus vastes, verts, la mer. Fuir la foule, la pollution et la pendule devenait vital.

Une fois dans les territoires, cette vague de Français, aux choix esthétiques forgés sur Instagram, aime le vieux, le démodé ou l’authentique, une forme d’inconfort aussi, en retapant d’antiques demeures plus ou moins bien entretenues. Ce qui, immanquablement, fait grimper le prix des biens, comme en Bretagne, où il est de plus en plus difficile pour les locaux de se loger. Mais la perturbation produite n’est pas que financière, elle est aussi culturelle. Les Parisiens réclament le tri sélectif, l’arrêt des pesticides, que cessent les coupes sauvages d’arbres. Ils se crottent dans des jardins au milieu d’herbes folles. Ce qui vaut à ces néovillageois d’être parfois considérés comme des excentriques. La quête de bio, le vœu de décroissance font régulièrement rire jaune les paysans du coin.

Consumérisme résidentiel

La première catégorie de ces néo-ruraux est celle qui irrite le plus, avec cette sorte de consumérisme résidentiel qui bouleverse, sans contrepartie suffisante, les équilibres locaux. Mais le Parisien n’est pas que cet être sans vergogne, qui passerait son temps à vouloir tirer le meilleur parti de tout (tant qu’il y a du Wi-Fi). Il est aussi, potentiellement, cette nouvelle variable susceptible de dynamiser des bourgades, assoupies ou pas.

« Je voulais être pro. J’avais trois communes en tête. Chacune était ravie du projet, mais la mairie de La Gacilly a été la plus réactive. » Ainsi, un local communal est devenu librairie. Au pays natal d’Yves Rocher, son fils Jacques, l’actuel maire, promoteur du développement durable, fait de son village une vitrine. « A La Gacilly, ils aident les gens à faire des choses. C’est génial pour le dynamisme de la commune, cette politique a sans doute été déterminante pour nous », confie Amélie. Le véritable plus est le festival de photographie qui se tient dans la commune chaque année. Durant quatre mois, 300 000 visiteurs arpentent le village. « Cela représente un tiers de l’année. Ce qui permettait également d’envisager d’être ambitieuse. Tout cela amène de la stabilité dans un territoire très rural. »

Au départ, il y a tout à faire

L’art et l’écologie sont deux points cardinaux pour les citadins en quête d’une nouvelle existence hors des périphériques et des rocades. Dans un monde qu’ils rêvent sans produits phytosanitaires, mieux que le silence, le spectacle vivant, les expos, ou les festivals sont une recette qui a fait ses preuves. Le Lot, qui a une longue histoire de retour à la terre de familles désurbanisées, est particulièrement entreprenant : de Cajarc à Saint-Céré en passant par Figeac, théâtre, musique, expositions forment un vaste programme. Les nouveaux venus hantent les fripes et les brocantes comme des géologues.

Mais, dans ce département comme ailleurs, le plus déroutant est qu’ils n’ont rien des hippies gauchistes hirsutes de 1968, ne sont pas allés à l’usine, sont diplômés, parlent des langues étrangères, ont voyagé, fricotent avec les Anglais anti-Brexit et les Néerlandais oppressés par la densité des villes. Ils travaillent en indépendants sur leurs écrans. Ces pro-Européens provoquent une émulsion qui ne prend pas toujours, entre le calme retrouvé et leur envie de ressusciter des bourgs.

Toujours au sud de la Loire, l’axe Nord-Sud, l’ancienne ligne de l’aérotrain mort-né, est débroussaillé. Autour de Vierzon et de Châteauroux, des municipalités se frottent les mains et espèrent beaucoup de cette génération écran plat, susceptible de donner un nouveau souffle à la « diagonale du vide ». Des centres de coworking éclosent même dans des villages du sud de la Vienne. Un incubateur de start-up californien s’est installé à Sarlat (Dordogne)…

Des « expatriés » dans le concret

Tout le monde n’applaudit pas. Comme ce vieux chasseur qui a passé un savon à un villageois pris en flagrant délit : il bricolait pour une néorurale. « Alors, t’aides les expatriés, toi ? » Les mécontents maugréent encore davantage contre les propriétaires de maisons secondaires ouvertes un mois par an. Et qui font, là encore, monter les prix de l’immobilier. Ce viticulteur qui soigne des cépages anciens râle : « Il y a beaucoup de friches ici. Ils feraient mieux de travailler la terre au lieu de télétravailler, il y aurait moins de sangliers. » L’affluence touristique estivale est aussi vécue comme une nuisance.

 

Le Monde, Olivier Villepreux, 11 octobre 2021