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Les vœux sont morts, vive les vœux

La tradition des vœux pour 2022 est embarassante avec L’incertitude liée au Covid-19 persistant, il devient en effet malaisé de rester positif pour 2022, ou tout du moins optimiste. Chronique d’une mort votive prématurée.

« Courage et partage »

Début janvier, dans cette société de distribution cinématographique, on a rattrapé les cartons prêts à l’envoi pour les clients internationaux. Non, on n’allait pas souhaiter « a great year », encore moins une « amazing year », comme d’habitude. Il y a de la gêne à faire preuve de trop d’euphorie ; on a finalement opté pour « Healthy and prosperous » (« une année saine et prospère »). Consultante en organisation, Sylvie a souhaité « une année lumineuse et pleine de joie » à ses clients. Pour 2022, ça semblait plus approprié que de leur souhaiter « du succès dans tous [leurs] projets ». Plus probable, aussi. Les formules inédites, type « Courage et partage », sonnent mieux qu’un « Bonne année, bonne santé » curieusement déplacé.

« Je vous souhaite une bonne année et le plus d’anticorps possible. Car il faut rester positif et aussi éviter de l’être »

« Et la santé, surtout ! » Ne pas en parler met mal à l’aise. Insister dessus, voire en plaisanter, met mal à l’aise. Le cadre de mutuelle qui a envoyé : « Je vous souhaite une bonne année et le plus d’anticorps possible. Car il faut rester positif et aussi éviter de l’être » n’a pas reçu de réponses à ce jour. Se promettre que tout ira mieux en 2022, ce n’est pas possible. Le coup du « Bientôt les jours heureux », Macron l’a déjà fait deux fois, sans parler de son déprimant : « Peut-être l’année de sortie de l’épidémie. » Impossible, aussi, de se souhaiter une année « meilleure que la précédente » (ça fait Nouvel An 2021). « A un nouveau départ », souhaite Flying Blue dans ses vœux à ses membres, en commençant par : « Même si l’avenir demeure incertain. » On a envie de rajouter : « Même si on ne prendra plus jamais l’avion. » Les vœux qui contiennent les mots « même si » ou « malgré », ça plombe l’ambiance, on préfère encore ne pas en recevoir. « On m’a souhaité “une année pas pire”, j’ai trouvé ça bien », raconte Sylvain, employé d’une ONG.

Côté humour, la seule à bien s’en sortir, c’est la police nationale : « 22 v’là 2022. » Sa blague attendait depuis un siècle, elle n’allait pas rater ça. Pour les autres, la plaisanterie peut s’avérer périlleuse. Réussie, la carte photo de groupe d’un cabinet d’avocats posant en pied devant leurs bureaux, en vestes et cravates en haut, bermudas, tongs, pantalons de pyjamas et pantoufles pour le bas. Dangereuse, la carte « 2022, année du rebond » montrant quelqu’un sautant par la fenêtre d’un immeuble enflammé sur le trampoline des pompiers pour rebondir vers une autre fenêtre enflammée marquée 2022. « On va commencer par se souhaiter une bonne journée plutôt qu’une bonne année », a déjà beaucoup circulé sur WhatsApp. Quant à la mode de se souhaiter « une bonne année 2023 », elle est réservée à ceux qui n’ont pas déjà épuisé le filon l’an dernier.

Le déclin de la carte, postale ou numérique

Le télétravail n’aide pas. Quel intérêt d’exposer ses cartes de vœux comme un trophée dans des bureaux vides ? Dans les entreprises traditionnelles, impossible d’envoyer les cartes prêtes à signer préparées en salles de réunion. Et tous ceux qui mettaient discrètement leur courrier dans les envois de leur entreprise et qui découvrent que le timbre coûte aujourd’hui 1,43 euro, après une méta-culbute stupéfiante de la Poste… A ce prix-là, quels sont les gens à qui on tient vraiment à envoyer ses vœux dans une enveloppe ? Le tout au tarif rapide, pour que les interlocuteurs les trouvent sur leur bureau au printemps, entre la 7e et la 8e vague ?

Plus personne ne veut cliquer sur un lien pour avoir un feu d’artifice de pixels qui lui pète à la figure

La technologie n’a rien résolu. « On a une carte de vœux numérique que les gens peuvent utiliser, mais ils ne le font pas », s’étonne-t-on dans un ministère. Plus personne ne veut cliquer sur un lien pour avoir un feu d’artifice de pixels qui lui pète à la figure. « Je ne supporte pas les cartes électroniques où il faut aller sur un site designé par un graphiste raté avec une animation circa 2004 », résume Frédéric, entrepreneur (quand on disait que l’année ne commençait pas forcément dans la bonne humeur). Quant au mail de vœux avec un lien renvoyant vers une vidéo, il comporte le risque que le destinataire se rende compte qu’elle n’a été vue que 37 fois. Ne parlons pas des vœux hygiénistes du cabinet d’avocats August Debouzy avec, sur la carte carton, un QR code pour « plonger dans 2022 »… comme si on n’avait pas assez de QR codes dans nos vies.

Certains grands optimistes continuent d’organiser une cérémonie de vœux sur Zoom et espèrent que les gens viendront l’écouter avec un verre derrière leur écran. En 2022, on sait bien que personne ne cliquera sur le lien « Rendez-vous sur Teams jeudi à 11 heures » (et ajouter un quiz pour de la bonne humeur ne remplace pas l’alcool). Les présidents de PME ont transformé leurs vœux physiques en événements diffusés en ligne et ont réinvesti le budget traiteur et réception dans la production vidéo. Mais qui les regarde ?

Bref, les vœux sont morts, vive les vœux. « D’habitude, j’en envoie 400 par an, cette année, je ne vais pas le faire », reconnaît le fondateur d’un cabinet de conseil. A la place, cette année, il fera comme tout le monde, il répondra : « Merci, à vous aussi bonne année » à ceux qu’il recevra par courriel.

Le Monde, Guillemette Faure, 13 janvier 2022