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Les (fausses) fleurs envahissent la terrasse des bars. Joli ou soûlant ?

Une vraie tendance qui se développe à Paris, les décorations en fausses fleurs se sont multipliées sur les façades des restaurants.

Tout a commencé en 2017, l’année où Chrystel Bourdoncle décide de couvrir d’un épais feuillage les contours des deux étages de son café Maison Sauvage, dans le 6e arrondissement. Un effet ocre et or bluffant pour le passant et, pour le client, une impression de campagne une fois assis sous cette décoration de plantes … en tissu. Bourdoncle a emprunté cette idée aux cafés londoniens et a fait appel au fleuriste Luc Deschamps, établi avenue Niel dans le 17e. C’est pour lui, à ce moment-là, sa deuxième décoration florale de façade. Depuis, passé maître dans cet art, Deschamps l’a reproduite dans des cafés, des restaurants, des boutiques des rives droite et gauche, jusque dans des centres commerciaux de banlieue.

À son actif plus de 45 décors par an, préparés dans son atelier à Colombes (92). Deschamps travaille avec des fleurs de cerisier, des dahlias, des roses, des grappes de glycine en polyester (le même textile que celui des maillots de bain, qui sèche vite), venues de Chine. À l’arrivée, elles sont blanches, et il les teint de différentes couleurs « afin que chaque client ait son propre décor ».

Cette végétation en tissu séduit un public plus jeune, adepte des réseaux sociaux

Ces fleurs en tissu sont ensuite attachées par un câble à des branches de châtaignier, un bois réputé pour son séchage rapide et sa longévité. Cette vogue florissante qui s’est emparée des commerces cache un formidable coup marketing : moyennant 10 000 à 40 000 euros, la devanture ainsi parée est on ne peut plus instagramable.

Devant le café-restaurant La Favorite (4e), en bordure du Marais, des dizaines de passants s’arrêtent pour photographier les chutes de fleurs roses et blanches qui couvrent l’établissement. Leurs clichés finiront sur les réseaux sociaux. « C’est en grande partie grâce à cette décoration que nous avons aujourd’hui sur Insta près de 6 000 followers », se féli­cite Chrystel Bourdoncle. Dans les Yvelines, tout le centre com­mercial One Nation est passé en un an de 2 000 à 6 000 plantes dont une majorité d’artificielles comme ses 400 mètres carrés suspendus au plafond, un cerisier haut de 7 mètres et des bacs à fleurs bordant les restaurants. « L’impressionnant retour sur les réseaux sociaux draine un trafic supplémentaire », se réjouit Philippe Catteau, le PDG de Catinvest/One Nation.

Guirlandes de branchages colorés, avalanches de feuillages touffus bruns et ocre, cascades garnies de pétales rouges … ces installations textiles à l’air libre, traitées à l’anti-UV pour ne pas perdre de leur éclat, ont en effet l’étoffe pour surprendre en pleine ville. « Il faut frapper fort le regard, d’un waouh immédiat », insiste Deschamps. À l’instar du Grand Corona, dans le 8e arrondissement, qui a bordé sa devanture de plumes blanches.

« Notre objectif était de casser les codes de la décoration traditionnelle des brasseries parisiennes, de marquer les esprits, d’être visibles sur les réseaux sociaux et … d’inciter les passants à pousser la porte », explique la direction.

Deschamps assure que ses « clients ont depuis doublé leur chiffre d’affaires ». Ayant également adopté cette décoration dans son magasin, celui-ci en constate le bénéfice : « Les gens sont attirés, entrent dans la boutique et achètent. »

Pousser les clients à la consommation n’est cependant pas toujours l’unique objectif de cette ornementation. C’est parfois juste pour la beauté de la chose, comme le revendique Zoé Ferdinand, seule boutique parisienne de prêt-à-porter (dans le 6°) à s’être ainsi parée :

« Je l’ai fait pour me faire remarquer, mais certainement pas pour inciter la passante à acheter un vêtement. Flasher sur un décor ne veut pas dire que l’on repart avec une robe ou un pantalon. »

LE JOURNAL DU DIMANCHE, Anne Dequy, 24 avril 2022