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Le lifestyle s’impose et séduit dans des quartiers « en devenir »

Une nouvelle génération d’hôtels quatre étoiles s’installe dans des quartiers jusque-là délaissés par ce type d’établissements, notamment dans l’est ou dans le nord de la capitale.

A Paris, les abords du périphérique du nord et de l’est sont, depuis longtemps, le terrain de jeu de l’hôtellerie dite « économique », et notamment des chaînes de type Ibis, B & B ou Campanile. Depuis peu, une nouvelle génération d’hôtels de luxe, comme le Zoku, se développe de part et d’autre de cette voie rapide, portée par le renouveau de ces quartiers limitrophes de Paris, par la disponibilité du foncier… Et surtout, par la bonne santé du secteur hôtelier.

Installé aux étages supérieurs du Stream Building, un bâtiment de bureaux tout neuf conçu par l’architecte Philippe Chiambaretta, Zoku fait le pari de devenir une destination branchée, en capitalisant sur le nouvel arrêt de métro de la ligne 14, juste en bas.

Comme le Zoku d’Amsterdam, sa maison mère, ce nouvel hôtel reprend tous les codes des lieux hybrides à la mode :

  • bar à cocktails,
  • restaurant avec cuisine ouverte tables communes (au menu, poitrine de porc braisée, ceviches, planches à partager),
  • salon de coworking avec canapés,
  • sur le toit, un potager.

Çà et là, de petits espaces permettent d’organiser des réunions, de jouer à la console Switch, de faire un baby-foot « inclusif » (avec des personnages féminins) ou un karaoké.

Les 109 chambres (de 160 à 200 euros la nuit) ciblent en particulier ces cadres qui viennent quelques jours par mois à Paris : elles comportent toutes une cuisine et un espace pour travailler ou recevoir des collègues. Bref, un produit très marketé, jusqu’au tapis de yoga dans les chambres et aux anecdotes servies sur un plateau.

Bonne résilience post-crise

« En ce moment, tous les types d’investisseurs s’intéressent à l’hôtellerie. C’est un secteur qui a montré sa bonne résilience post-crise [liée au Covid-19] : en 2022, le chiffre d’affaires des hôteliers a augmenté de 9 % par rapport à 2019 », explique le consultant Olivier Petit, du cabinet In Extenso. Et ce, malgré une importante hausse des prix. Son cabinet anticipe une poursuite de cette tendance en 2023, avec le retour des Asiatiques et une forte présence des Américains, attirés par un taux de change favorable, et grâce à des événements comme la Coupe du monde de rugby.

Dans ce contexte, les investissements se multiplient. « Il y a notamment de nombreux projets de reconversion de bureaux en hôtels », observe Olivier Petit.

A l’horizon 2025, 18 000 nouvelles chambres devraient voir le jour en France, selon la dernière étude de KPMG, qui identifie une tendance : la montée en gamme du parc. Entre 2016 et 2022, le nombre de chambres 4 et 5 étoiles a augmenté de 4 % par an, bien plus vite que les autres catégories.

C’est une autre ville qu’on donne à voir

Rien d’étonnant, dans ce cadre, à ce que les territoires de chasse des hôteliers s’étendent. Le groupe Okko ouvrira ainsi un 4 étoiles de 129 chambres dans le quartier Rosa-Parks, près de la porte de la Villette, en juillet.

Un peu plus au nord, la tour Pleyel, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), va se transformer en hôtel de luxe de 700 chambres, géré par le groupe allemand H-Hotels. L’ouverture est prévue en 2024, avant les Jeux olympiques.

Reste à attirer les voyageurs dans ces quartiers en transformation. C’est un vrai défi pour le Too Hôtel, installé à l’intérieur des tours Duo, ces mastodontes de verre et d’acier construits par Jean Nouvel le long du périphérique. Comment remplir 139 chambres dans cette zone du 13e arrondissement encore en chantier, cernée par les voies ferrées et vide le soir ? La vue, évidemment. Le panorama, animé par le fourmillement hypnotique du périphérique, est le principal atout de cet hôtel décoré par Philippe Starck, et qui s’étend entre le 17e et le 27e étage d’une des tours.

Le Too Hôtel espère surtout se faire connaître des Parisiens grâce à son restaurant et à son bar en altitude, déjà prisé des banquiers de Natixis, qui y montent en voisin. La terrasse est l’une des plus hautes de la ville.

L’« hôtellerie lifestyle »

Attirer la clientèle locale, c’est d’ailleurs l’une des particularités de ces hôtels 4 étoiles de dernière génération, qui proposent presque tous des restaurants et bars qui ne ciblent pas seulement les clients hébergés. Pour ces hôtels, mélanger les touristes, les voyageurs d’affaires et les habitants est devenu le nouveau Graal. La formule permet de gagner en animation, de se faire connaître, de diversifier les sources de revenus et de créer une forme d’authenticité locale, loin des hôtels standardisés perçus comme « hors sol ».

Ce modèle, appelé « hôtellerie lifestyle », a été impulsé dans les années 2010 par Serge Trigano, ancien directeur du Club Med, avec ses hôtels Mama Shelter. Le premier s’est installé rue de Bagnolet (20e arrondissement), dans un quartier alors considéré comme peu propice à ce genre d’activités, et a tout misé sur son restaurant, son bar et ses animations.

Dans les hôtels Mama Shelter, 60 % du chiffre d’affaires est issu de la restauration. Depuis, Serge Trigano a revendu son groupe à Accor, qui le développe à vive allure. « Le lifestyle est le seul segment qui connaît une croissance à deux chiffres dans le monde de l’hôtellerie : + 30 % en 2022. Avoir un restaurant sexy permet de remplir les chambres, même si les marges sur la restauration sont deux fois moindres », analyse Pierre Mattei, président du fonds d’investissement Keys.

Déconstruire « certains préjugés »

Ce concept s’adapte particulièrement bien aux hôtels qui se développent dans ces quartiers périphériques en pleine de gentrification. Cyril Aouizérate l’a bien compris. Cet ancien cofondateur de Mama Shelter a lancé, en 2017, un premier hôtel à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), le MOB. Une institution qui cible une clientèle jeune, qui draine beaucoup de monde grâce à sa cantine italienne et à son espace de coworking.

Des chambres à 190 euros la nuit, dans cette ville qui pâtit d’une mauvaise image, et où le taux de pauvreté atteint 25 % ? « Si on peut participer à la déconstruction de certains préjugés sur le “93”, c’est tant mieux », dit ce Toulousain, fils d’ouvrier typographe, proche du parti Europe Ecologie-Les Verts. Lui se dit aujourd’hui en « divorce » avec Paris. Il estime qu’un territoire comme Saint-Ouen, en pleine gentrification, ouvre des horizons plus intéressants pour l’hôtellerie, avec de vastes espaces abordables, lui donnant la possibilité de s’assurer une rentabilité « sans sacrifier le social ».

Pour attirer les voyageurs à Saint-Ouen, il mise sur la décoration, l’ambiance, l’esprit des lieux. Concrètement : un restaurant bio, des matières naturelles dans les chambres, des conférences sur le réchauffement climatique, des « couscous party » avec les habitants du quartier, la vente d’objets réalisés par de petits créateurs, des parcelles du jardin potager mis à disposition des voisins… Patagonia et Biocoop y ont déjà organisé des séminaires, et ses hôtels ont été bien repérés.

Le Monde, Jessica Gourdon, 10 février 2023