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La bougie, le nouveau bibelot

La pandémie a boosté le marché avec des modèles dont l’esthétisation est portée par le temps passé chez soi et la mise en scène de nos intérieurs. 

En septembre prochain, Celine lancera le second volet de sa collection de haute parfumerie. Six bougies élaborées sous la direction créative de Hedi Slimane pour « retrouver l’empreinte olfactive de lieux qui marquent l’existence, depuis les demeures de la vie intime et quotidienne jusqu’aux salons des maisons de couture ». Des éditions baptisées « Papiers froissés »,   « Nightclubbing », « Palimpseste » … abritées dans un pot en verre facetté noir, de la même couleur que la cire, avec une étiquette embossée aux moulures Grand Siècle. À ce lancement de bougies s’ajoute une collection d’accessoires dont un éteignoir, un coupe mèche, des allumettes et étui de voyage siglé qui « renouent avec la tradition du parfumage des intérieurs et des époques où les objets parfumés et leurs gestuelles rythmaient le   quotidien ».

Un parfait exemple de l’évolution de cet accessoire utilitaire servant à éclairer, devenu un bel objet précieux qui sent bon. Et qu’on n’ose plus toujours allumer. Un bon indicateur aussi de la santé du marché évalué à 8,4 milliards de dollars en 2018 et dont la croissance annuelle devrait s’élever à 6,3% en moyenne jusqu’en 2026 (Businesscoot, 2022).

Rien d’étonnant donc à ce que la maison du groupe LVMH (propriétaire des Échos) l’ait choisi pour étendre son domaine d’expression. « À la suite de la pandémie, on s’est recentré sur soi et sa maison, avec l’idée de donner une identité à son intérieur. Cela s’inscrit aussi dans cette nouvelle idée holistique de la beauté « in and out ». Chez nous, c’est le segment de la parfumerie qui s’en est le mieux sorti en 2020 et 2021 », affirme Magali Parian, directrice des achats beauté du groupe Galeries Lafayette. Les confinements, le besoin de voyager sans quitter son domicile, la quête du « hygge », ce fameux bien-être à la danoise dont la flamme est une composante essentielle, tout a contribué à booster le marché de la bougie. Sans compter que certaines marques spécialisées ont fait de leurs éditions parfumées des objets statutaires.

Un marketing olfactif

C’est le cas de Diptyque, fondée en 1961 et distribuée aujourd’hui dans plus de 1000 points de vente. En 2020, son chiffre d’affaires européen a bondi de 50%. Confinés, les clients fidèles ont multiplié les senteurs pour marquer olfactivement les fonctions des pièces et les temps de la journée.

« Elles permettent de transformer l’ordinaire en un moment particulier, ce qui explique notamment le boom du marketing olfactif avec des éditions parfumées créées pour les hôtels et les restaurants, note Laurence Semichon, directrice Parfums et Beauté. Par ailleurs, elles jouent sur la notion de décor. Faire de la bougie un objet visuel, c’est déjà l’intention des fondateurs de Diptyque qui ont choisi dès le départ d’apposer sur pots en verre des étiquettes ovales, avec nos fameuses lettres dansantes, une esthétique poétique et fantaisiste. » Et impactante.

L’apparition du modèle « Tubéreuse » dans le décor d’une interview de Meghan Markle à Los Angeles n’a pas échappé aux fans.

« Il y a une théâtralisation de l’intime que l’on donne à voir à travers les réseaux sociaux. Les bougies et leurs jeux de lumière occupent une place particulière dans cette mise en scène », poursuit-elle.

Preuve que l’accessoire est devenu un indispensable des images léchées qui font fureur sur les réseaux sociaux : plus de 17 millions d’occurrences pour #candles sur Instagram, toujours un bon indicateur. Même constat chez Trudon, ancienne manufacture royale de cire du XVIIIe siècle relancée en 2007. « Nous observons une progression générale de nos ventes, liée à l’expansion forte du marché de la bougie parfumée depuis quelques années, au développement de gammes lancées par de grands groupes mais aussi à la volonté des consommateurs d’améliorer leur intérieur », constate Julien Pruvost, directeur de la création de Trudon, qu’il voit comme « l’expression contemporaine d’un savoir-faire séculaire couplé à un usage moderne ».

Désirabilité et durabilité

Un marché porté notamment par les cadeaux – la moitié des ventes – qui explique cet art de l’emballage soigné, aligné sur l’industrie du luxe. Chez Trudon, la bougie ornée de son blason est vendue dans une boîte et un papier signé par l’illustrateur anglais Lawrence Mynott. Chez Diptyque, on emballe dans un trio de papiers de soie, différent pour chaque senteur, selon un protocole pensé par les fondateurs et inspiré de l’art japonais de l’origami.

Avec l’idée de garder le pot en verre et la boîte, leur donner une seconde vie et faire perdurer leur désirabilité. Pour marquer un peu plus le rituel et le potentiel instagrammable, là aussi de nouveaux accessoires ont été lancés, comme l’éteignoir, le coupe mèche, le socle, les boîtes d’allumettes graphiques… Tout contribue à l’esthétisation de la bougie.

Dans les deux boutiques spécialisées My Jolie Bougie à Toulouse, 120 marques et 8 000 références, une vente sur trois comprend une jolie boîte d’allumettes ou un autre accessoire. « Quand on s’est lancé, il y a quatorze ans, il n’y avait rien entre les produits de synthèse vendus dans la grande distribution et l’ultraluxe. Au milieu des années 2010 sont arrivées les bougies parfumées en cire naturelle et fabriquées en Europe ou aux États-Unis à des prix raisonnables, entre 15 et 30 euros, observe le fondateur Benoît Ramus avant d’ajouter : Reste à voir les conséquences tarifaires des pénuries de matières premières et de transport post- Covid. » Aujourd’hui, il en existe à tous les prix, de 1 euro jusqu’à plusieurs centaines pour les modèles précieux de Gucci ou Richard Ginori.

La bougie devient l’objet de décoration incontournable

Si certains gardent en tête le rapport Ebene de l’Agence de la Transition Écologique en 2017, sur la toxicité potentielle, notamment les parfumées, on peut désormais s’offrir une bougie comme une jolie poterie. C’est le cas de ces nouveaux modèles lancés par de jeunes entrepreneurs qui se sont emparés de la cire comme d’une alternative plus accessible que la céramique. Sur le site de vente Etsy, plus de 730 000 références dont des modèles en forme de baskets Nike, de mains, de Lego, de coquillage, de pénis, de buste… Des objets de déco qu’on expose chez soi et qu’on n’allumera probablement jamais.

« J’ai toujours aimé les bougies en forme de corps mais je ne trouvais que les classiques canons de beauté. Contrairement à la céramique, cela ne nécessite pas de formation particulière alors après deux mois passés sur YouTube, j’ai lancé Fluid Candies en 2021. Les clients achètent mes bougies structurales aux corps inclusifs comme un objet en céramique », remarque le Français Jeremy Duchiron, qui fabrique lui-même ses modèles colorés en cire de colza. Ceux qui voudraient aller plus loin tenteront de mettre la main sur l’une des sculptures bougies de l’artiste contemporain Urs Fischer, récemment exposées à la Bourse du commerce, à Paris. Mais qui osera allumer la mèche ?

LES ECHOS, Vicky Chahine, 29 avril 2022