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Il grandit au Royaume-Uni !

Confrontés depuis plusieurs mois à une importante crise économique et sociale, en partie imputable à leur sortie de l’Union Européenne, les Britanniques ont le blues. 

Presque sept ans après les résultats du référendum sur le Brexit et trois ans après la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), la population se laisse peu à peu gagner par le «Bregret».

Ce néologisme, formé des mots « Brexit » et « regret » et apparu quelques jours seulement après le vote historique du 23 juin 2016, traduit la désillusion et l’abattement ressentis par de nombreux Britanniques. D’après un sondage publié en janvier par le quotidien The Independent, près de 2/3 d’entre eux souhaiteraient même un nouveau scrutin pour revenir sur le Brexit.

Un marasme économique qui n’en finit pas

Depuis qu’elle a tourné le dos à l’Union européenne, l’économie du pays poursuit sa dégringolade. Après une année 2022 marquée par une inflation record atteignant jusqu’à 11% au mois d’octobre, le Royaume-Uni continue de s’enliser dans une redoutable crise du coût de la vie, qui voit la croissance ralentir et le PIB chuter dangereusement.

Pour Richard Davis, professeur de civilisation britannique à l’Université Bordeaux Montaigne, d’autres facteurs que le Brexit ont mené à cette situation : « La crise sanitaire et la guerre en Ukraine sont passées par là. Elles ont fragilisé l’économie de nombreux autres pays, actuellement confrontés à une importante inflation. »

Une chose est sûre en revanche : sans le Brexit, le Royaume-Uni aurait été davantage armé pour faire face aux récentes crises, sanitaire comme énergétique. « Le Brexit n’avait pas de fondement économique, ce n’était ni plus ni moins qu’une manœuvre opportuniste ayant pour but d’assurer la réélection du Parti conservateur, ajoute l’enseignant. Il était évident qu’en se privant des avantages commerciaux réservés aux pays membres de l’Union européenne, l’économie allait perdre en stabilité. »

Un référendum sur fond de guerre politique et de fake news

Car à l’origine, l’idée du référendum sur le Brexit n’est rien d’autre qu’un pari fou, lancé par le Premier ministre conservateur de l’époque, David Cameron. Ultralibéral et europhile convaincu, il est alors persuadé qu’en proposant un vote sur la place du Royaume-Uni dans l’Union européenne, le Remain (rester dans l’UE) l’emportera largement, ce qui suffira à calmer les ardeurs de la branche eurosceptique de son parti. Son objectif ? Ni plus ni moins qu’assurer sa victoire aux élections suivantes.

Pendant les mois qui précèdent le vote, le pays devient le théâtre d’une campagne féroce entre pro et anti-Brexit. Malheureusement pour David Cameron, on assiste alors à une forte dominante eurosceptique dans les médias traditionnels, renforcée par la panique que suscite la crise migratoire de 2015, elle-même alimentée par de nombreuses fake news de la part des Brexiters. « On ne peut pas nier que le vote pour le Brexit a, avant tout, été motivé par une peur panique de la migration », confirme Richard Davis.

Le 23 juin 2016, les Britanniques se rendent donc aux urnes. Les résultats tombent et c’est raté pour David Cameron : presque 52% des voix vont dans le camp du Leave (quitter l’UE). Un véritable imbroglio politique qui divise la classe politique et la population depuis près de sept ans.

« Le Brexit a été une réponse ultra-simpliste à une situation infiniment plus complexe, résume Richard Davis. Il y avait des alternatives plus subtiles et moins manichéennes à envisager, afin de repenser la relation entre le Royaume-Uni et l’UE, que d’opter pour un divorce définitif. Ce qui paraît incroyable, c’est qu’encore aujourd’hui, on ne soit jamais revenu sur cette décision ! »

Le malaise social s’intensifie

Julie, 60 ans, vit à Bristol. Jeune retraitée, elle a passé sa carrière en tant qu’infirmière du National Health Service, le système de santé britannique. Elle a exercé son travail pendant des années avec passion, avant d’y renoncer face aux conditions de travail dégradées imposées aux soignants. « Avec le Brexit, on a dû apprendre à travailler avec des équipements moins performants, faire face à l’indisponibilité des traitements de base, comme la morphine ou les antibiotiques. Pour moi, c’était un retour en arrière indigne, j’ai décidé de prendre ma retraite anticipée car j’y laissais mon moral et ma santé. »

Plus jeune, Julie a vécu à Berlin-Est, avant la chute du mur. Pour elle, le référendum de 2016 a été un épisode traumatisant.

Durant les mois qui ont précédé le référendum, Julie découvre qu’une partie importante de son entourage est en faveur du Leave. « Ça a été des mois très sombres, le sujet était affreusement conflictuel, j’ai fini par garder mes opinions pour moi afin d’éviter les disputes. Aujourd’hui, ces mêmes amis regrettent leur vote. Je sens une forme de culpabilité chez eux, même s’ils ont du mal à l’admettre. C’est incroyable. C’est comme si tout ce temps, les gens pro-Brexit avaient cru au père Noël et que maintenant que le pays est en crise, ils réalisaient qu’on n’allait pas leur faire de cadeaux. »

Au Royaume-Uni, la situation économique et sociale n’a rien du happy end promis par les Brexiters. « Les grèves dans de nombreux secteurs se multiplient, certains produits du quotidien ne sont plus disponibles depuis des mois, les services publics se dégradent…On peut dire qu’on atteint un point de rupture, qui n’est pas sans rappeler la crise traversée par le Royaume-Uni dans les années 1970 », souligne Richard Davis.

Fin 2022, les banques alimentaires saturaient face à la demande de colis d’urgence. En six mois, la demande a été telle que 1,3 million de colis ont dû être délivrés pour faire face à la crise, un record. Autre effet délétère de la sortie de l’UE : quelque 330.000 travailleurs manqueraient pour faire tourner l’économie de service, le secteur agricole ou celui du soin. Il s’agit là d’une conséquence directe de la loi visant à restreindre l’immigration, en particulier venue d’Europe de l’Est, contenue dans les modalités du Brexit. 

Après Boris Johnson, le déluge

Richard Davis poursuit son analyse : « On assiste à un désamour profond des Britanniques pour les politiques. Les frasques de Boris Johnson et l’incapacité du gouvernement à gérer le Brexit et à faire face à la crise semblent être venues à bout de la confiance des citoyens dans le système politique. S’ajoute à cela l’arrivée sur le trône de Charles III, bien moins populaire que sa mère… La population est plus défiante que jamais à l’égard des institutions, ce qui rend le dialogue impossible. »

Gestion controversée de la crise sanitaire, effets d’annonces répétés à propos du Brexit, déclarations purement démagogiques ou encore scandale du Partygate, qui a révélé que des fêtes se sont tenues au 10 Downing Street en plein confinement: l’ardoise est salée pour le gouvernement de Boris Johnson. Malgré ses efforts, son second successeur, Rishi Sunak, peine à redresser la barre et se retrouve à son tour pris dans le bourbier du Brexit…

Actuellement, Rishi Sunak entend « finir le travail », en tentant de trouver un accord commercial entre l’Irlande du Nord et l’Union européenne. D’après Richard Davis, ces tergiversations sont une preuve supplémentaire du flou qui entoure la sortie du Royaume-Uni de l’UE depuis toutes ces années.

Pour Eric, le « Bregret » a bel et bien gagné les troupes. « Toutes les personnes de mon entourage qui ont voté pour le Brexit semblent s’en mordre les doigts aujourd’hui, même si elles ont du mal à l’avouer. Il n’y a bien que ceux qui sont encore animés par des opinions anti-immigration qui disent ne rien regretter, mais j’ai du mal à le croire. Pour beaucoup, il est devenu difficile de remplir le réservoir de sa voiture ou de faire le plein de courses. Le Brexit était une folie et ce sont les plus pauvres qui en paient les pots cassés. Si on est honnête avec soi-même, il est aujourd’hui impossible de dire que le Brexit était une bonne idée. »

Slate, Hélène Bourelle, 8 mars 2023