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Hors des podiums, les hommes souscriront-ils à la fantaisie du vestiaire milanais ? Réponse cet été.

Pantalon en dentelle chez Dolce & Gabbana, shorts à taille haute chez Prada, tee-shirts échancrés pour Etro… Les collections printemps-été 2024, présentées lors de la fashion week milanaise, osent la féminité, la nudité et les imprimés.

Alors que la fashion week masculine de Paris, qui a débuté le 20 juin, s’annonce spectaculaire – avec le premier défilé de Pharrell Williams pour Vuitton –, c’est une petite saison de fashion week homme printemps-été 2024 qui s’est déroulée à Milan du 16 au 20 juin : seulement vingt-deux défilés et trente-six présentations. Petite, mais pas insignifiante ! Pour une fois, Milan n’a pas joué la carte de la garde-robe formelle et élégante, mais a montré un vestiaire libéré-délivré qui ose la féminité, la nudité, les paillettes et les imprimés.

Domenico Dolce et Stefano Gabbana se sont posé la question : « Qui est l’homme Dolce & Gabbana ? Ces dernières années ont généré de la confusion à cause des réseaux sociaux, où tout va très vite, où il y a beaucoup d’images. On veut maintenant revenir à nos racines et à une image claire », explique le duo, qui s’est concentré sur « la qualité des tissus, la coupe, l’attention aux détails ». « Le style » est le maître mot d’une collection monochrome, avec une palette restreinte : noir, ivoire, beige, gris.

Ce cadre chromatique permet à D&G d’exprimer sa fantaisie stylistique dans les formes. Il y a bien évidemment des costumes, un peu old school, avec rayures de tennis et pantalons larges. Des slips et des marcels. Mais aussi toute une veine plus féminine, toujours portée par de solides gaillards tout en muscles : des hauts brodés de fleurs ou drapés de manière à souligner la taille ; un chandail et un pantalon en dentelle qui laissent voir la peau ; des tee-shirts très échancrés.

Une fois n’est pas coutume, on trouve des points communs entre Dolce & Gabbana et le maître de la sobriété Giorgio Armani. Pour sa ligne Emporio Armani, il a aussi misé sur le noir, l’ivoire et le beige, et a partiellement dénudé le corps masculin. Evidemment, chez Armani, la coupe est plus ample et les tissus plus souples, fidèles au chic décontracté qui caractérise la maison. Le point de départ de cette collection est la feuille de ginkgo que l’on retrouve brodée sur des tee-shirts en cuir perforé, en imprimé scintillant sur des chemises sombres, en dentelle transparente sur des hauts près du corps, en motif géométrique sur des pulls à capuche, ou sous forme de collier doré.

Une forme de décontraction sophistiquée que l’on aperçoit aussi sur sa ligne plus habillée Giorgio Armani, qui déploie un éventail de costumes pour être chic en toutes circonstances : en lin grège, laine noire ou soie bleue, avec un simple châle noué autour du cou en guise de cravate, des espadrilles ou des mocassins aux pieds. Pour symboliser la réécriture permanente de son style, Giorgio Armani, qui reçoit ses hôtes dans le sous-sol de ses appartements privés, avait installé un crayon à papier géant en guise de décor.

Chemises brodées comme des boules à facettes

Changement d’ambiance chez Prada, qui accueille ses invités à sa fondation, dans un décor de grillages en fer, où un liquide visqueux s’échappe du plafond. « Cette collection questionne les conventions : qu’est-ce que la structure, qu’est-ce que la masculinité ?, note Raf Simons, codirecteur artistique avec Miuccia Prada. On s’efforce de comprendre comment le costume peut être complètement différent de ce que l’on connaît. Ici, il est confortable et laisse le corps libre de ses mouvements. » Pour ce faire, le tandem s’est concentré sur la chemise. En popeline souple, elle est travaillée avec des épaules très larges et une taille fine, façon années 1940 (« Quand on idéalisait le corps masculin », dixit Raf Simons). Elle est décorée de motifs hawaïens, de fleurs en 3D un peu inquiétantes, de poches épaisses, de franges qui se balancent au rythme des pas. La chemise est couvrante, mais pas les shorts à taille haute et coupés court sur la jambe qui lui sont associés, ni ces polos rétrécis qui laissent entrevoir le caleçon. Sous leur veste en cuir taillée comme des chemises, que portent les mannequins ? Pas grand-chose.

Chez Etro, Marco de Vincenzo a voulu mettre en valeur « le pouvoir du textile », donnant lieu à un foisonnement d’imprimés et de couleurs : un tee-shirt échancré semble constitué de guirlandes de Noël, un vaste manteau à motifs et pompons orange est porté avec un collier de coquillages et un pantalon baggy de couleur pêche, les chemises brodées de perles et de sequins rayonnent comme des boules à facettes. On croise aussi des reproductions d’allégories du XVIIe siècle : « Les allégories synthétisent des valeurs dans une image forte, et ça correspond bien à notre époque si focalisée sur l’image », justifie le designer.

Pour Valentino, Pierpaolo Piccioli a investi le jardin du cloître de l’université de Milan. Un choix qui traduit sa volonté de parler à un public jeune, tout comme la présence d’égéries de K-pop au premier rang et le concert en direct du jeune chanteur américain d4vd. La garde-robe, elle, ne fait pas de jeunisme et reste fidèle au romantisme épuré de Valentino : vestes de costume portées avec des shorts, débardeurs à lavallière, chemises brodées de pivoines, jupes qui se confondent avec des bermudas… Le tout dans des couleurs fortes signatures de la maison, noir ou fuchsia, bleu pétrole ou vert tendre.

« Le costume avec veste et pantalon assortis n’est plus d’actualité, estime Alessandro Sartori, directeur artistique de Zegna. Aujourd’hui, tout va avec tout, et ça libère le consommateur qui peut jouer avec les formes et les couleurs. » Pour établir « une garde-robe efficace », et donc sans contraintes, il propose une base de vêtements amples en lin beige, où les volumes sont fluides, les vestes déstructurées avec les épaules tombantes, des pantalons flottant autour de la jambe.

Bleu ciel, ocre, émeraude… Les belles couleurs de la collection Fendi rappellent l’environnement du défilé : la griffe a fait une infidélité à Milan en défilant, le 15 juin, dans le cadre du salon de mode masculine Pitti Uomo dans sa toute nouvelle usine de maroquinerie de Capannuccia, près de Florence. Un lieu idéal pour imaginer une jolie garde-robe empreinte de clins d’œil à l’artisanat, où les chemises en soie sont imprimées de tournevis ou de clés à molette ; les tabliers de cuir courts ont des airs de jupettes ; les imperméables se confondent avec des blouses…

Pour la marque qui porte son nom, JW Anderson s’est inspiré des meubles autour de lui : le tissu d’un canapé des années 1970 a donné naissance à des shorts duveteux, le bras d’une chaise à des sabots compensés, un balai à franges à des tee-shirts près du corps. « C’est une collection pas trop cérébrale, où l’on coupe la manche d’un pull parce que l’on en a envie, sans raison », explique le designer irlandais, qui a aussi imaginé des pulls à capuche perforés d’un vaste triangle au niveau du torse. « C’est le fantasme de ce que j’aimerais porter », admet-il, vêtu d’un simple jean et d’un maillot de rugby. Hors des podiums, les hommes souscriront-ils à la fantaisie du vestiaire milanais ? Réponse l’été prochain.

Le Monde, Elvire von Bardeleben, 19 juin 2023