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Génération no kids.

De plus en plus de français décident de ne pas avoir d’enfant. Ces personnes font valoir leur épanouissement personnel et leur inquiétude face au changement climatique.

Quand elle était petite, Florence jouait à la Barbie. Sa poupée disposait d’une panoplie de vêtements flashy, d’un joli camping-car rose et d’un acolyte masculin, Ken. Souvent ils se mariaient. Mais dans tous les scénarios inventés par la fillette, ils n’eurent jamais d’enfant.

En grandissant Florence a compris qu’elle n’avait aucune aspiration à devenir mère. A la vingtaine, les gens lui disaient « Tu verras, c’est parce que tu n’as pas trouvé le bon », ou alors «Tu es trop jeune, ça viendra plus tard » pourtant, ce désir ne s’est pas manifesté. « J’ai toujours su, au plus profond de moi-même, que mon corps n’était pas destiné à porter la vie» explique cette tatoueuse dijonnaise de 27 ans.

Dans une société où la parentalité est associée à une forme de réussite, au bonheur et à un épanouissement de soi, le choix de ne pas avoir d’enfant va à contre-courant, voire dérange, car il ne constitue pas la « norme dominante », explique Magali Mazuy, chargée de recherches à l’Institut national d’Etudes démographiques (Ined) travaillant sur la santé sexuelle et reproductive.

Il est vrai que ceux qu’on appelle les « childfree » (nom issu de l’Organisation des Non-Parents créée aux Etats-Unis en 1972), « no kids », ou « sans enfant volontairement » (SEnVol), pour reprendre une notion théorisée par la sociologue Charlotte Debest, sont peu nombreux.

Le principal argument avancé est sans équivoque : elles ne veulent pas d’enfant parce qu’elles veulent rester libres. Le principal leitmotiv est donc l’épanouissement personnel. « Je veux juste profiter de la vie », résume Séverine, consultante de 35 ans.

Est-ce là une décision égoïste ? A l’instar d’autres, Florence rétorque : « Les gens veulent des enfants pour perpétuer la famille, avoir un mini-soi, transmettre leurs gènes, leur héritage, ne pas mourir seuls. De quel droit peut-on dire que les sans enfant sont des êtres égoïstes ? En réalité, les personnes qui en veulent le sont tout autant, mais n’ont pas à s’expliquer sans cesse. »

En effet, dans le discours des 163 personnes ayant répondu à notre appel à témoignages transparait une nécessité constante de se justifier, les poussant à sonder dans leur for intérieur le motif de ce non-désir dont la société leur dit qu’il est « déviant ».

Les raisons de ce choix, très intellectualisé, sont multiples. Il y a l’aspiration libertaire, mais pas seulement : ne pas avoir plus de responsabilités; avoir connu un schéma familial chaotique et craindre de le reproduire; ne pas avoir les moyens financiers pour subvenir aux besoins d’un enfant; ne pas souhaiter voir son corps transformé; ne pas vouloir mettre au monde un être dans un monde géopolitiquement instable; faire un geste écologique; craindre la surpopulation …

Si la liste est longue, elle montre surtout la pression qui peut reposer sur leurs épaules, et plus particulièrement sur celles des femmes. Car si les rares enquêtes sur le sujet montrent que les hommes sont légèrement plus nombreux (6,3 %) à avoir fait le choix d’une vie sans enfant que les femmes ( 4,3 %), ce sont elles qui sont les plus stigmatisées, invectivées, avec l’idée sous-jacente que leur corps a été conçu pour enfanter. Pourtant, la simple évocation du fait de « porter la vie » a toujours provoqué chez Florence un « dégoût profond », au point qu’elle a développé une phobie de la grossesse et de l’accouchement qu’on appelle la tocophobie.

Parce que la maternité est encore très valorisée, les femmes subissent aussi davantage de pression de leur entourage surtout entre 30 et 35 ans que les hommes. « Là où les hommes seront davantage rappelés à l’ordre sur leur parcours professionnel, les femmes le seront sur leur « carrière parentale ». En France, les comportements restent très normés », analyse Magali Mazuy.

Comme tout parcours de vie, le non-désir d’enfant se construit, il évolue au fil du temps et des expériences. Valériane, Lilloise de 34 ans, en sait quelque chose. Entre ses 20 et ses 28 ans, elle était en couple dans un schéma « tout tracé » : la fac, le premier appartement, la rencontre amoureuse, l’emménagement à deux, le CDI. Cette relation, elle l’appelle « (sa) période Ikea ». C’était clean, c’était propre. » Un jour, elle s’est réveillée avec l’idée que son couple pouvait passer à l’étape suivante: le bébé.

« Ça faisait partie du schéma, comme un projet inconscient, mais pas déplaisant », raconte cette gérante.Et puis, un plan B, bien loin d’une fin digne d’un film Disney, s’est profilé : celui de se séparer. « J’ai rompu parce que cette vie n’était pas la mienne. A partir de là, la déconstruction a été totale », poursuit celle qui depuis n’a jamais plus envisagé la possibilité d’intégrer un enfant dans sa matrice de célibataire.

Aux Etats-Unis, un mouvement a pris forme ces dernières années, celui des Ginks, pour Green Inclination, No Kids (« engagement vert, pas d’enfant »). En France, si rares sont les jeunes hommes et femmes affirmant avoir renoncé à la parentalité par pur militantisme pro-environnement, pour beaucoup l’argument écologique a pesé dans leur décision. « A quoi bon avoir un enfant dans un monde où il ne verra des girafes que dans des livres ou au zoo ? » ou encor  « Nous sommes trop nombreux sur Terre pour imposera la bio-sphère une calamité de plus ».

Avoir une progéniture constitue-t-il réellement un poids écologique ? Une étude de 2017 évaluait le « coût » climatique d’un enfant à 60 tonnes d’équivalent C02 par an, ce qui correspond à six fois l’empreinte carbone d’un Français moyen ! Avoir un enfant a bien un effet écologique et renoncer à en avoir peut effectivement représenter un choix individuel respectable. Mais il faut relativiser les chiffres absurdes d’empreinte carbone qui sont trop souvent relayés sur ce sujet, soulignait Emmanuel Pont, auteur de « Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? » dans un entretien à « l’Obs ».

Sûr de son choix, le trentenaire a décidé de passer de la théorie à la pratique en optant pour la stérilisation. En effet, la stérilisation à visée contraceptive est autorisée par une loi du 4 juillet 2001 et est entièrement prise en charge par l’assurance maladie. Pour y avoir recours, hommes et femme doivent être majeurs, avoir consulté une première fois, puis une seconde après un délai de réflexion de quatre mois.

En France, 3,9% des femmes et 0,3% de leurs partenaires masculins seulement ont eu recours à la stérilisation contraceptive, contre respectivement 19% et 11,3% des Américains.

Mais le vent serait-il en train de tourner ? Que ce soit le choix de ne pas faire d’enfant ou celui de la stérilisation, nombreuses sont les personnes qui, aujourd’hui, assument leur décision sans craindre les réactions.

L’OBS, Louise Avitu, 10 novembre 2022