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Fabriques d’élites à Manhattan à prix exorbitant !

Les « Baby Ivies », servent de sésame pour entrer dans les plus prestigieuses universités américaines. Ici, tout se joue avant 5 ans !

De luxueuses limousines se garent en double file sur Lexington Avenue, dans l’Upper East Side. En sortent des enfants accompagnés d’adultes apprêtés, qui pénètrent dans un immeuble anonyme. Ils traversent un superbe hall en marbre et granite pour rejoindre la file d’attente derrière un cordon rouge : un ascenseur dédié les amène au 6e étage et les portes dorées s’ouvrent sur une exposition d’ « œuvres d’art » signées par les jeunes « prodiges » de l’établissement.

On est à la 92Y Nursery School, l’une des maternelles privées les plus en vue de New York. Malgré un prix exorbitant (40 700 dollars l’année scolaire pour 4 ou 5 heures de cours par jour), elle est victime de son succes et reçoit plusieurs centaines de demandes, si bien qu’elle est l’une des plus sélectives de la ville. Une chance sur dix de vous inscrire, peut-être moins si vous êtes recommandés ou parrainés.

Psychomotriciens et artistes en résidence

Comme la 92Y, une douzaine de maternelles privées de New York se sont distinguées comme les plus performantes, celles qui ouvriront les portes des meilleures écoles élémentaires et lycées, et bien sûr, des universités américaines, à leurs chanceux enfants. Elles sont même surnommées les « Baby Ivies » en référence à la Ivy League, cette liste de huit universités d’outre-Atlantique parmi les plus prestigieuses :  (Harvard, Princeton, Yale, Brown, Penn, Cornell, Columbia, Dartmouth.)

Pour un tarif très élevé (de 24 000 dollars par an pour cinq demi-journées à plus de 40000 dollars pour des semaines avec des journées complètes de 9 heures à 14 heures), elles bénéficient des compétences des meilleurs spécialistes de l’éducation, surdiplômés, et qui ont souvent des décennies d’expérience.

Mais aussi de l’aide de :

  • Psychologues,
  • Psychomotriciens,
  • Musicologues,
  • D’artistes en résidence,

qui concoctent des programmes sur mesure pour ces bambins. Grâce à cette réputation, les maternelles les plus cotées de Manhattan font l’objet d’un processus de sélection très drastique.

400 DOLLARS de l’heure

C’est une particularité du « marché » des meilleures maternelles privées américaines. Des consultants spécialisés, qui facturent leurs services à l’heure, aident les parents dans le process de candidature : à la fois dans la sélection des établissements, la rédaction de la lettre de motivation ou la préparation des visites guidées et des entretiens. « Ces sélections paraissent évidentes pour les écoles mais ne le sont pas pour les familles. Mon rôle est d’accompagner les parents anxieux et de les rassurer », explique Emily Shapiro, qui voit passer devant elle des banquiers d’affaires, des avocats, de grands philanthropes soucieux de voir réussir leur descendance.

Cela a un coût : 400 dollars de l’heure pour ses prestations, mais elle est optimiste sur son taux de réussite. Selon elle, le premier prérequis est simple : démarcher huit à dix établissements pour s’assurer d’avoir une admission.

Optimiser ses chances

Chaque année, la date fatidique est celle du Black Tuesday : le premier mardi de septembre, ces institutions ouvrent leur sélection. Les parents doivent appeler frénétiquement les écoles dès 9 heures pour obtenir le sésame, un dossier de candidature. Le délai est court car ils sont délivrés en quantité limitée et partent souvent en une matinée.

La plupart du temps, la démarche se déroule en trois étapes :

  1. Renvoyer le dossier rempli accompagné d’une lettre de motivation
  2. Une fois présélectionnés, les enfants font une visite guidée de l’établissement avec leurs parents
  3. Puis ils passent un entretien qui prend généralement la forme d’un jeu en petit groupe.

Les consultants conseillent aux parents. Lorsque cela leur est possible, de payer l’intégralité des frais de scolarité et de ne pas demander d’aide financière car ces dossiers entrent alors dans une liste plus étroite, avec une sélectivité encore plus forte. Ils orientent aussi les parents pour donner une impression favorable aux responsables des admissions. « Les écoles recherchent des familles agréables, diverses, et qui adhèrent à la philosophie de l’école sans vouloir la changer », explique Wendy Levey, ancienne directrice de maternelle et consultante depuis plus de quarante ans à New York. De son côté, Karen Aronian, ex-professeure de maternelle, conseille d’envoyer des lettres personnalisées.

La force du réseau

Car, bien sûr, la force du réseau joue dans le microcosme des puissants New-Yorkais. Dans les maternelles les plus réputées, il est recommandé de connaître un membre du conseil d’administration, ou à défaut des parents d’élèves.

Les maternelles affiliées à une église ou une synagogue donnent la priorité aux membres de leur paroisse : la 92Y est associée à la communauté juive du centre culturel éponyme, tandis que la Brick Church School, qui est un bloc plus loin sur Park Avenue, est catholique.

La communauté de parents inclut les grands pontes de Wall Street, des dirigeants de grandes firmes internationales et, bien sûr, des figures influentes de l’entertainment, le cinéma et la télévision. Ces derniers financent largement l’école avec les événements de levées de fonds comme le gala annuel, si bien que l’argument financier peut jouer en leur faveur. Mais cela ne suffit pas. « Il n’y a aucune garantie, des parents peuvent entrer sans connexions ou donations », assure Emily Shapiro. Ce qui compte, c’est leur propre contact avec l’école tant convoitée.

Cartons rouges

Car ces familles privilégiées ont souvent une haute opinion de leur progéniture, et cela peut leur être fatal. « Des parents se vantent des exploits de leurs enfants qui connaissent leur alphabet et pensent qu’ils sont extraordinaires. Mais la réalité est que beaucoup d’entre eux se ressemblent, ils viennent de familles aisées de Manhattan », raconte Alina Adams, auteure à succès qui a publié le livre Getting Into NYC Kindergarten et officie aussi comme consultante.

Selon elle, la pire erreur que commettent les parents est de se montrer trop exigeants face à des écoles déjà très sollicitées. « À chaque visite, il y en a toujours qui demandent ce que l’école propose pour les hauts potentiels », ce qui a le don d’agacer les responsables. Il faut dire que les parents arrivent généralement sous pression, stressés par l’épreuve de l’entretien avec l’enfant, qui consiste en réalité en un jeu libre en petit groupe.

« Les écoles recherchent des enfants qui ne sont pas trop attachés à leurs parents, qui savent jouer de façon autonome et écouter », explique Emily Shapiro. Cela laisse parfois les parents perplexes. Comme David, père d’un garçon de 2 ans et demi à Manhattan: « Le directeur et les professeurs prenaient des notes en l’observant, et moi, je me demandais : « Que peuvent-ils bien écrire et penser quand il joue à la pâte à modeler sur une table ? » »Pour préparer ce moment-clé, les consultants peuvent aller loin dans les détails jusqu’à valider sur photos envoyées par MMS la tenue choisie pour le jour

Arty babies

Les jeunes enfants ont aussi des cours d’échecs où ils apprennent le déplacement des pièces en faisant le même mouvement avec leur corps « Une méthode kinesthésique très efficace » précise Carrie Kries. Là encore, les connexions des parents aident beaucoup : le mois dernier, une classe attirée par la marine a eu l’opportunité de monter à bord d’un navire marchand sur l’Hudson River, bénéficiant des contacts de l’un d’entre eux.

À la très select 92Y Nursery School, surnommée la « Harvard des maternelles », les enfants sont encouragés à développer leur expression créative à travers des expériences par exemple réaliser une peinture à la Pollock. La maîtresse explique tout d’abord la technique de l’artiste, qui consistait à faire couler des gouttes de peinture depuis son pinceau, debout au-dessus de sa toile posée à terre.

Elle place ensuite des bâches de plastique dans toute la pièce et le papier au sol, et lance un morceau de jazz, la préférée de l’artiste. Heureux de pouvoir donner libre cours à leurs mouvements, les enfants de 4 ans s’en donnent à cœur joie, tournant et faisant de grands gestes avec leurs pinceaux au rythme de la musique. Les œuvres sont ensuite accrochées fièrement aux murs par les jeunes artistes. Certaines peuvent atteindre des sommets lors des enchères annuelles : l’une d’elles est partie à 70 000 dollars lors du dernier gala de 92Y.

Madame Figaro, Anne-Laure Peytavin, 3 février 2023