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Le low-key, à adopter si l’on ne veut pas ressembler à une pub ambulante !

Ni logos, ni monogrammes. Les nouvelles générations de la classe aisée chinoise apprécient le luxe discret.

Il Y a une dizaine d’années, j’ai passé une nuit éloquente avec des critiques de mode chinois. Ils essayaient en vain de s’évader d’une fête, dans un coin reculé de la lagune de Venise et j’avais réussi à nous dégoter un bateau-taxi.

Soudain amis pour la vie, nous étions ensuite restés des heures dans le lobby de l’hôtel, à discuter. Ils étaient très jeunes. Et ils avaient le sentiment que le luxe, et principalement le luxe français, les avait un peu pris pour des cons.

Ils disaient qu’à leurs parents on avait fait prendre des vessies pour des lanternes, en leur inculquant une fausse idée du chic et de l’opulence. Tous ces logos supposés vous anoblir un look, tous ces monogrammes, leurs riches parents avaient pris cela pour argent comptant. Eux, ces jeunes, ils étaient la seconde génération de la nouvelle classe aisée et bourgeoise chinoise, celle qui avait été envoyée faire ses études en Angleterre. Là-bas, ils avaient découvert l’étendue du mensonge qui avait été fait à leurs parents.

Les jeunes gens chics d’Oxford ne portaient ni logos de marques ni monogrammes. Au contraire, leurs chemises étaient d’un coton fin et presque glacé qu’on ne trouvait que chez Anderson & Sheppard, à Londres, par exemple. Et, en vrais chics, ils allaient chez Hornets, boutique vintage culte derrière Ken-sington Palace.

Parce que la beauté des matières, la sobriété et la perfection des coupes, eh bien, c’est ça qui comptait l’understatement. Ces jeunes Chinois me disaient : « On ne nous la fera plus. On va trouver notre propre sens du chic. »

Depuis, en mode, la Chine fait surtout parler d’elle par les volumes ahurissants qu’elle est capable de produire, et par le sort réservé aux  Ouïghours dans certaines usines textiles. Mais l’idée de mes camarades « vénitiens » a fait son chemin. Pour preuve : la marque Icicle.

Fondée par Shouzeng Ye et Shawna Tao. Tous deux cherchent à habiller de façon sobre une frange de la population chinoise qui n’en peut plus du tape-à-l’œil. Et n’utilisent que des matières naturelles, en en garantissant la traçabilité : cachemire, laine, soie, coton, tout est teint avec des pigments végétaux.

Même le packa-gingest en pulpe de canne à sucre. Et la poussière des matériaux (nobles) des boutiques est réutilisée pour des patines. Leur slogan, « made in earth » (fait sur terre) en dit long sur ce qu’ils pensent des frontières.

Ce qui est aussi très intéressant, c’est que l’approche esthétique diffère à la fois de celle des créateurs coréens, archimode, et de celle des Japonais, ancrée dans une culture du costume très identifiable.

Icicle mise sur ce qu’on appelle le low-key. Le low-key, en musique, est une sorte de sourdine. Le terme induit la discrétion, la mesure, l’élégance, la quiétude (la marque revendique des sources taoïstes) mais aussi un certain élitisme. Cette initiative est révolutionnaire en Chine, en fait

Et mes camarades « vénitiens » d’alors doivent jubiler. Les choses bougent, comme ils l’avaient prédit.

L’OBS, Sophie Fontanel, 07 octobre 2022