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Dans la finance il est bleu ou rouge, mais jamais vert malgré les bonnes paroles…

Banquiers et assureurs se glorifient de promouvoir une finance de plus en plus responsable et environnementale, ce qui ne les empêche pas d’avoir bien du mal à verdir leurs logos.

C’est sûr, la finance va verdir. Tous les banquiers vous le promettent, la main sur le cœur, parfois même sans qu’on leur ait posé la question. Il existe même un très sérieux réseau pour le verdissement du système financier, dont font partie de vénérables institutions parfois âgées de deux ou trois siècles. Mais pour l’instant, ce n’est pas vrai. Au terme d’une longue enquête, nous sommes en mesure de vous révéler la couleur de la finance : elle est bleue. Parfois rouge. Rarement jaune. Et quand elle devient verte, c’est pour des raisons très éloignées de la lutte contre le réchauffement climatique ou pour la préservation de la biodiversité.

L’enquête qui nous permet de proclamer ces résultats ne relève ni d’une analyse des bilans au spectromètre, ni d’une psychanalyse sauvage des dirigeants des institutions financières. Elle vient de l’observation de la couleur que ces organisations ont choisi d’afficher au cœur de leur identité : leur logo.

Et ici, c’est un raz-de-marée bleu. Axa, Deutsche Bank, Visa (et sa carte), CNP, Allianz, FMI, Barclays, JP Morgan, Goldman Sachs, Banque mondiale, Pimco, American Express, Aviva, Moody’s … Toutes bleues. Comme pratiquement toutes les banques centrales : Banque de France, BCE, Bank of England, Bundesbank, Bank of Japan. Et c’est au fond logique, car comme le disait le peintre Vassily Kandinsky, « le bleu développe très profondément l’élément du calme ». Sa froideur rassure. C’est d’ailleurs la couleur de l’assurance et plus encore de la réassurance (Munich Re, Hannover Re, SCOR …).

L’autre couleur de la finance est, sans conteste, le rouge. Il a été choisi par des banques souvent réputées agressives, comme la Société Générale (qui l’associe au noir). Il donne aussi le ton de l’espagnole Santander, la britannique HSBC, l’italienne Unicredit, l’helvétique UBS, la multinationale Banque des règlements internationaux, la grande majorité des banques chinoises et nippones. Et se retrouve chez d’autres acteurs de la finance, le fonds américain Vanguard, les assureurs Generali et Prudential (mâtiné de jaune pour ce dernier, comme pour Mastercard).

Quand la fusion mélange les teintes

Quelques maisons entre deux eaux associent le rouge et le bleu, comme le Crédit Mutuel, Bank of America ou Mizuho. Le cas le plus emblématique est sans doute BPCE. Née du rapprochement entre les Banques populaires bleues et les Caisses d’épargne rouges (on parle parfois encore dans la banque des « bleus » et des « rouges »), cette holding a pris la couleur issue du mélange des deux : le violet. Qui est aussi la teinte du logo de Natixis, la filiale née de la fusion des banques d’investissement appartenant respectivement aux « Caisses d’Epargne» et aux « Banques Populaires ».

Un vert bien loin de l’écologie

Laissons de côté le jaune. Il n’a pas porté chance au Crédit Lyonnais, absorbé par le Crédit Agricole. On le trouve de loin en loin dans quelques grandes maisons européennes, comme Commerzbank, Raiffeisen Bank ou Swedbank. Et venons-en au vert. Si vous croyez que c’est le coloris de Swiss Re, détrompez-vous : un site spécialisé précise doctement qu’il s’agit d’un gris mousse.

En Europe, seules trois grandes banques annoncent la couleur verte sans trembler (en laissant de côté la russe Sberbank, désormais blacklistée).

La première, celle qui saute aux yeux, est bien sûr le Crédit Agricole. Qui dit agricole dit verdeur du blé avant qu’il ne jaunisse, verdeur de l’herbe des prés même si elle est plus verte ailleurs. La Banque agricole chinoise a ainsi pu échapper au rouge. Sauf que le vert agricole n’est pas le vert écologique. En France, l’agriculture est à l’origine à elle seule de 20% des émissions de gaz à effet de serre, plus de dix fois son poids dans la production.

La deuxième est l’italienne Intesa Sanpaolo. Le vert lui viendrait du côté San Paolo, vénérable maison née dans le Piémont qui lui aurait transmis cette teinture.

Des mauvaises langues soulignent toutefois que c’est aussi la couleur d’une loge maçonnique très puissante à Turin.

Vient enfin BNP Paribas avec son carré vert et ses étoiles blanches devenant oiseaux. À en croire certains commentateurs, le vert symboliserait la nature, l’espoir, les recommencements. Mais ce n’était pas le but initial. D’abord, la BNP est née en 1966 avec un logo bleu, comme tout un chacun ou presque. La verdure lui est venue ensuite, dans les années 1980, pour une raison qui n’a rien à voir avec l’écologie. Ses concepteurs entendaient alors symboliser… la modernité numérique, avec un logo vert et gris. Car c’était l’époque où commençait à se développer la micro­informatique, avec des ordinateurs personnels tout gris dotés d’un écran noir où les caractères se détachaient en vert !

La couleur du dollar

Reste que le symbole le plus puissant, le plus universel de la finance est tout de même vert : le dollar. Et c’est une rareté. D’ordinaire, si l’argent n’a pas d’odeur, les billets n’ont pas de couleur favorite. Qu’ils soient libellés en euros, en yens, en pesos, en livres sterling ou en nairas, leur teinte diffère toujours d’une coupure à l’autre. Sauf pour le dollar, invariablement vert. Le très administratif Bureau de la gravure et de l’impression expliquait il y a près d’un siècle que c’était pour symboliser « le crédit fort et stable du gouvernement ». En réalité, le fond verdoyant du dollar vient de raisons encore plus éloignées des préoccupations environnementales. Le vert avait été choisi pour imprimer les billets pendant la guerre de Sécession, parce qu’il était difficile à falsifier et que les stocks d’encre de cette couleur étaient abondants.

Au bout du compte, le choix le plus étonnant, dans cette ronde des couleurs, est celui du NGFS, acronyme du Network for Greening the Financial System ou Réseau pour le verdissement (pardon, « l’écologisation » dans la terminologie officielle) du système financier. Car lui a été créé tout récemment, par des banques centrales, pour faire avancer, dixit sa charte, la finance verte. Et contrairement aux éditeurs qui colorient systématiquement en vert les livres sur le sujet tout en soutenant mordicus que cette teinte ne fait pas vendre, les animateurs du NGFS ont reculé devant l’obstacle. Son logo est composé de trois lettres bleues et d’une lettre d’un vert tirant tellement sur le jaune qu’elle paraît plus jaune que verte. La finance a décidément du mal à verdir.

LES ÉCHOS, Jean-Marc Vittori, 23 avril 2022