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Ceux qui ont fait l’année 2022 !

Elodie Laye Mielczareck, sémiolinguiste, nous fait un tour d’horizon des mots qui nous ont fait beaucoup parler en 2022.

La fin de l’année est pour bientôt, l’occasion de revenir sur les mots, et les maux, qui ont façonné l’année 2022.

Qu’ils soient des mots « Star », mis en vedette pour une année, ou bien des mots « Fusée », qui ont le vent en poupe avec une utilisation croissante, ou bien des mots « Battements », récurrents et présents en filigrane depuis plusieurs années, ces mots pétrissent un bassin sémantique dans lequel nous baignons collectivement.

Nous trouverons aussi des mots « Voldemort », dont-on-ne-doit-plus-prononcer-le-son, en passe de devenir tabous. Un sort plus enviable, peut-être, que ces mots has been, qui à force d’être galvaudés, ont perdu de leur substance et errent comme des zombies dans notre langue.

Cette année, six thématiques principales ont occupé nos esprits :

  • le digital,
  • l’économie,
  • la transition,
  • le social / sociétal,
  • les difficultés relationnelles
  • le fait de « prendre du bon temps ».

Digital : multiverse ou multivers, metaverse ou métavers

C’est l’univers où l’on trouve le plus de mots « Star ». En effet, les termes NFT et metaverse ont défrayé l’année 2022. Vous noterez l’ambivalence linguistique dans la prononciation et l’écriture du terme metaverse. Avec ou sans « e », avec ou sans accent ? « Métavers » à la française ? Cela nous démontre deux aspects importants :

  • Tout d’abord, ces hésitations orthographiques et langagières traduisent un usage qui n’est pas encore fixé et une représentation non encore figé. Nous sommes bien au début du phénomène, encore mal appréhendé.
  • Ensuite, ces errements sont aussi liés à l’influence de la langue anglaise sur le français. Par exemple, on parle bien de « multivers » en français, et de « multiverse » en anglais. Pourtant, la toile française est abreuvée du mot metaverse, écrit à l’américaine mais prononcé à la française.

Toujours dans cet univers digital, on note une perte de vitesse de certains termes tel                    « avatar », réactualisé par le film de James Cameron seulement, ou encore de la locution          « réalité virtuelle », plus utilisée en 2017. Si le terme « youtubeur » est entré dans le dictionnaire depuis plusieurs années, il faudra attendre 2023 pour que le terme                              « instagrammeur » y soit. Mais le réseau social qui aura fait le plus couler d’encre, vous l’avez deviné, c’est bien Twitter. Les polémiques de rachat par Elon Musk auront volé la vedette aux autres plateformes sociales.

Économie : sobriété, austérité, a-croissance et inflation

Impossible de faire l’impasse sur cette préoccupation, à la fois collective et individuelle. Dans cette thématique on retrouve d’autres mots « Star » mais aussi des mots « Voldemort ».

L’un des mots « Star » de 2022 est sans conteste le terme : « sobriété », miroir de la prise de parole présidentielle rythmée autour du leitmotiv « la fin de l’abondance ».

Cette mise en lumière entraîne dans son sillage un mot « Voldemort » : ne parlez plus désormais de : « pauvres » mais de personnes « en situation de sobriété subie ».

On note également que le terme « austérité », un thème de la campagne présidentielle en 2017, fortement utilisé en avril 2020, est désormais relégué en fond de tiroir. Plus attractif, le terme « sobriété » le remplace.

Même si certains lui préfèrent déjà le terme de « frugalité », autre mot « Star » de 2022. Cela donne un coup de vieux à des notions comme la « déconsommation » et la « décroissance », termes « Star » de 2019. Afin de contourner le problème, certains intellectuels proposent des néologismes, tel l’« a-croissance » de Gaspard Koening.

Mais le mot de « Star » de 2022 reste « l’inflation ». Son corollaire, « pouvoir d’achat », reste un mot « Battement ». Régulièrement utilisée depuis de nombreuses années, la thématique du pouvoir d’achat reste un marronnier récurrent cette année. On notera que l’adjectif, subtil mais présent ces dernières années, dans pouvoir d’achat « ressenti », est moins fréquent.

Transition : apocalypse, guerre, conflit et transformation

Le vocabulaire de la « pandémie » de 2020 laisse sa place au terme « apocalypse ». Très présent en 2019, le mot a été remis à l’ordre du jour.

L’instabilité internationale aura également remis sur le devant de la scène les notions de          « guerre », de « conflit » et d’ « armement ». Dans son sillon, apparaissent les « Droits de l’Homme » bafoués. On pense bien sûr à l’Ukraine.

Concernant les termes « révolte » et « révolution », très utilisés pour évoquer l’Iran, ils restent des mots « Battements », présents en toile de fond de manière stable et récurrente depuis 2019.

De leur côté, les termes « changement » et « impact », qui sont surtout des mots de 2019-2020, continuent sur leur lancée. Leurs frères d’esprit, « transition » et « transformation » connaissent un pic en 2022. De même que le mot « climat » est remis au goût du jour par la Cop27.

Social / sociétal : entreprise à mission, verdissement d’image, dé-transition 

Alors que la Loi Pacte fait son entrée en 2019, la locution « entreprise à mission » inonde 2022 avec une certaine stabilité.

Je souligne que l’expression « verdissement d’image », traduction littérale de l’anglais               « greenwashing », fait son entrée dans l’édition 2023 du Robert. Un hasard ?

Les notions de « transidentité » et de « dégenrer » restent stables depuis plusieurs années. En 2022, c’est la locution « transition de genre » qui connaît un pic. Notons l’apparition de nouvelles constructions autour de cette même racine avec les lexèmes « dé-transition » (revenir à son genre d’origine) ou « dé-transitionneurs »

Difficultés relationnelles : connard, hypersensible, conflit, diplomatie

Après la Psychologie de la connerie sortie en 2018, puis Que faire des cons ? en 2019, Virginie Despentes réactualise le sujet avec son ouvrage Cher Connard. De quoi traduire une certaine ambiance dans les bureaux, rouverts après une succession de confinements…

Décidément, les dynamiques relationnelles ne semblent pas au beau fixe ! Serions-nous devenus intolérants ou bien « hypersensibles » ? Voici un mot « Fusée ». Sous le feu des projecteurs depuis de nombreuses années, le terme poursuit sur sa lancée.

Dans cette ambiance interpersonnelle un peu morose, voire agressive, les recettes de                 « gestion du stress » sont toujours bien présentes. On l’a vu, « conflit » est l’un des mots             « Star » de 2022.

Notons que les termes renvoient moins en 2022 à la sphère de la « radicalisation » religieuse, mais bien à des prises de position politiques davantage marquées. Rassurons-nous, le terme « diplomatie » revient de plus en plus fréquemment.

Prendre du bon temps : chiller, démission silencieuse, macroner

Face à ce monde extérieur un peu rude, comment ne pas se laisser tenter par un intérieur       « cocooning » ? Le terme reste très tendance… Dans la même ambiance, l’on découvre pour l’édition 2023 du Robert le verbe « chiller ». IKEA fut la première marque à l’utiliser dans un slogan, « Chillez chez vous », en 2020. Depuis, le verbe n’en dément pas de son succès et s’invite régulièrement dans notre paysage lexical.

La locution « démission silencieuse » (ou « quiet quitting ») est « Star » en 2022… En faire le moins possible alors ? Le terme « flemme », « Star » en 2020, se retrouve dans tous les esprits à l’heure où j’écris ces lignes. En juin le journal Le Point titrait ainsi « Où est passé le goût de l’effort ?  ». En octobre, Le Figaro, quant à lui, titrait « La grande Flemme :  comment la France perd le goût de l’effort ». Loin d’être anecdotiques, ces titres sont symptomatiques de tensions cristallisées autour de la notion de « travail ».

Le nom propre du Président de la République sera devenu un nom commun…, plus précisément un verbe ! « Macroner » sera-t-il un jour dans les dictionnaires officiels ? Cette expression née dans les tranchées ukrainiennes se traduit par le fait de « se montrer très inquiet d’une situation, mais ne rien faire ».

L’ADN, Elodie Laye Mielczareck, 14 décembre 2022