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C’est devenu un loisir à la mode chez les citadins !

Repoussant les limites de l’endurance, un nombre croissant de cadres s’entraînent pour ces courses de l’extrême en ville. Ou comment conjuguer besoin d’oxygénation et idéal de performance.

Ils sont une quarantaine à se retrouver ce mercredi soir ensoleillé au pied de la butte Montmartre, à Paris. Uniforme : tee-shirt floqué du nom d’une course réalisée dans l’année, petit sac à dos muni d’une poche à eau, baskets de running ultratechniques. La plupart se connaissent bien, se saluent d’un « check » du poing avant le début de l’échauffement annoncé par Olivier Acampora, casquette à l’envers et barbe de trois jours, coach bénévole au sein de l’association Team Trail Paris. Dans le quartier, les riverains se sont habitués à devoir slalomer entre les traileurs urbains en quête de dénivelés.

L’objectif de ces entraînements hebdomadaires : préparer les adhérents à courir sur de longues distances, voire, pour les plus braves, à tenter le Graal des runners en quête de dépassement, l’ultra-trail. Ce format de course né dans les années 1970 aux Etats-Unis repousse toutes les limites de l’endurance, avec des parcours de plus de 80 kilomètres en pleine nature, souvent dans des conditions extrêmes, en haute montagne, en plein désert ou dans le climat tropical de La Réunion.

Il y a encore dix ans, les adeptes de ce loisir passaient pour des doux dingues. Désormais, en témoigne l’engouement pour ce petit club parisien , l’ultra-trail est devenu un loisir à la mode chez les citadins. « Après le Covid-19, les gens ont besoin de s’aérer, de courir. Certains se sont tournés vers l’ultra, ça a explosé. Maintenant, il faudrait que ce soit plus mélangé : chez nous, il n’y a que des cadres supérieurs », regrette Olivier Acampora, lui est chef de projet à Pôle emploi.

En faisant entrer l’ultra-trail dans leur quotidien, ces sportifs amateurs s’engagent à changer radicalement de mode de vie

Des heures d’entraînement journalier, une alimentation adaptée, une préparation mentale au long cours. Avec une pratique si exigeante, ils s’exposent aussi, parfois sans le savoir, à des séquelles physiques à répétition : tendinite du genou, entorse de la cheville, inflammation du talon, du tibia ou des orteils, insuffisance rénale en cas d’hydratation inadaptée pendant les courses…

Autre risque souvent négligé, l’addiction au sport. D’après une étude menée, en 2011, lors de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, 7 % des 1 775 inscrits étaient considérés comme dépendants, quand 60 % semblaient présenter des risques de dépendance. Les médecins parlent alors de « bigorexie », qui peut favoriser l’isolement social, les troubles du comportement alimentaire et des difficultés à récupérer d’une blessure.

Une identité de vainqueur

En France, l’ultra-trail se développe à la fin des années 1980, séduisant d’abord des ruraux habitués des sports de plein air, avant de conquérir les citadins avides d’évasion et d’aventures. « Ces pratiques extrêmes sont davantage sollicitées par des catégories socioprofessionnelles supérieures. L’ultra-trail épouse des valeurs d’exploration des limites, de capacité à dominer la nature. C’est comme si certains cherchaient à se bâtir une identité de vainqueur, en cohérence avec leur ethos de classe », remarque Olivier Bessy.

D’abord très populaire auprès des quadras et quinquagénaires en quête de nouveaux défis d’endurance, la pratique attire désormais des coureurs plus jeunes, influencés par les exploits du prodige catalan Kilian Jornet, grand vainqueur de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, à seulement 20 ans, en 2008.

Ces parcours de dépassement de soi intéressent de près le monde de l’entreprise, au point que certains ultra-traileurs célèbres, comme Mathieu Blanchard, Kilian Jornet, Nathalie Mauclair et Vanessa Morales, proposent des conférences autour des leçons d’audace et de résilience apprises en courant. Beaucoup voient dans l’ultra-trail une forme d’école de la vie, une discipline idéale pour dépasser ses limites, apprendre à devenir la meilleure version de soi-même.

Maîtrise totale

En écoutant les témoignages extatiques des traileurs, on comprend que, au-delà de la quête de l’exploit, l’aventure de l’ultra-trail est d’abord intérieure. Ces dizaines d’heures d’efforts passées seul avec soi-même permettent de changer de regard sur sa vie, sans avoir à quitter son travail ou à partir vivre à l’autre bout du monde.

Le Monde, Célia Laborie, 19 juin 2023