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« Bienvenue chez moi: je vis dans une église ! »

Croyants ou pas, ces passionnés de lieux culte qui osent en faire un vrai chez-soi. Hauteur sous plafond et atmosphère garanties.

Un salon-séjour de 200 mètres carrés et douze mètres de hauteur sous plafond au plus haut. Chez Sophie, quinquagénaire directrice d’un bureau d’ingénierie, il y a de l’espace, beaucoup d’espace et une atmosphère… de cathédrale.

Passé l’imposante porte en bois massif à double battant, la surprise est totale et « la réaction des visiteurs presque toujours la même : “Whaou !” ». Dans l’ancienne nef, la cuisine américaine donne sur la pièce principale, rythmée par des ouvertures en arc de cercle. Un majestueux escalier hélicoïdal en acier mène aux étages supérieurs. Dans le chœur, l’autel a été remplacé par un piano et un gros olivier en pot. Dispersés çà et là, des vestiges de la chapelle, comme un petit bénitier en pierre, se mêlent au mobilier contemporain. Le tout baigné de lumière.

« Lorsque le soleil traverse les vitraux, c’est tout simplement magique. Je ne m’en lasse pas », explique l’heureuse propriétaire d’une ancienne chapelle, au cœur de Villefranche-sur-Saône (Rhône). L’édifice religieux, bâti en 1896, a été vendu une première fois en 2005 à un couple d’architectes qui l’a transformé en habitation, avant de le revendre en 2013. Les propriétaires suivants s’y installent pendant sept ans avant de le remettre sur le marché en août 2020. Sophie, qui n’avait jamais pensé vivre dans une église mais qui recherchait un lieu de caractère, tombe sous le charme. « Dès que je suis entrée, j’ai eu plus qu’un coup de cœur, un appel, une sorte de révélation, se souvient-elle. J’ai su que j’y vivrais. » Un vœu exaucé depuis avril 2021.

« C’est un marché de niche qui fait beaucoup rêver mais qui se concrétise lentement », confirme l’agent immobilier Patrice Besse

Sur son site Web, actuellement une dizaine d’offres. Certains biens sont en bon état, comme cette ancienne abbaye dans le Vexin ou ce temple anglican au cœur de Dinard (Ille-et-Vilaine), aux boiseries intérieures de style néogothique. D’autres, dans leur jus, nécessitent une bonne dose de travaux, de budget et d’imagination. Qui se laissera séduire par la jolie chapelle provençale dite « du Marquis « de 1763 avec « sa cloche classée monument historique » et sa maison de village attenante (le tout proposé à 367 500 euros), ou par une monumentale église de Quimper (Finistère) du XIXe siècle, 926 mètres carrés, dont une sacristie de 100 mètres carrés (785 500 euros) ?

Au Royaume-Uni et en Amérique du Nord, les églises sont converties depuis de nombreuses années en restaurants, gymnases, bibliothèques, écoles de cirque, studios de musique, salles de spectacle, boîtes de nuit… et résidences privées. En France, le sujet est encore sensible.

Un projet difficile à concrétiser

Avis aux acquéreurs. Il est tout à fait possible de transformer une église en un bâtiment privé, sous réserve qu’elle ait été désacralisée. Que l’église soit de propriété communale ou diocésaine, cette étape est incontournable. Par simple décret ou lors d’une cérémonie, l’évêque procède à l’ « exécration » de l’édifice, en officialisant la perte de son caractère sacré. Tous les signes religieux ainsi que les objets servant au culte sont retirés.

« On n’achète pas une église comme on le ferait pour un loft, il y a souvent derrière un projet de vie », résume Servant Ndjantcha, directeur de la branche immobilière d’Agorastore, un site de vente aux enchères de biens appartenant à des collectivités.

Un budget rénovation conséquent

Comme le souligne Servant Ndjantcha, « c’est très joli en photo, l’idée fait rêver beaucoup de gens mais peu franchissent le pas. Rendre habitables ces grands bâtiments tout en hauteur, avec des contraintes architecturales fortes et souvent en mauvais état, est un sacré défi ».

Petites ouvertures, salle de bains et cuisine à inventer, absence d’isolation, remise en état de l’électricité et raccordement à l’eau, réfection des toitures… le budget rénovation s’envole rapidement et fait facilement doubler le prix d’achat. Compte tenu de leur surface, les églises ne paraissent pas très chères, entre 100 000 et 300 000 euros en moyenne, mais, par la suite, elles peuvent devenir des gouffres financiers. Rendre habitables ces grands bâtiments tout en hauteur, avec des contraintes architecturales fortes et souvent en mauvais état, c’est possible mais est un sacré défi.

LE MONDE, Catherine Rollot, 12 février 2022