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Au bonheur (très lucratif) des dames !

Aujourd’hui, tout s’écrit et se monétise au féminin : des blogs aux podcasts en passant par la BD et les expos dans les musées. Si la volonté de rendre hommage aux pionnières de la création a du sens, cette approche apparaît souvent aussi opportuniste que rentable. C’est que le « public cible » est clair : la bourgeoise urbaine. La prolo, elle, reste ignorée des « cultureux ».

Dans Une chambre à sol publiée en 1929, la géniale Virginia Woolf revient sur deux de ses conférences données à l’université de Cambridge devant des assemblées féminines et nous demande d’imaginer la trajectoire de la sœur de génie que Shakespeare aurait pu avoir. Une sœur aussi douée que son illustre frère, mais dont personne n’aurait jamais entendu parler. Une artiste hors norme mais qui aurait passé sa vie à langer des bambins non désirés et à rapiécer les chaussettes d’un mari rustre …

Histoire vraie ? Non. Si Shakespeare a bien eu une sœur, Judith, celle-ci ne montra jamais d’intérêt pour l’écriture ou la création. La démonstration de Virginia Woolf était brillante … mais purement rhétorique.

Cet exercice est repris (sans la référence) par la journaliste Aliette de Laleu dans son essai Mozart était une femme, où elle entend démontrer que, de tout temps, des audacieuses, des créatrices, des personnalités libres ont occupé une place dans la musique dite classique.

Problème : leurs noms sont tombés dans l’oubli. Aléas de l’histoire, jalousies de cour, les raisons sont nombreuses pour expliquer l’effacement de certains noms – ou leur invisibilisation, selon le terme du moment. À la sortie de son livre, Aliette de Laleu, au risque d’un ou deux raccourcis, a donc dénoncé le monde de la musique classique comme un milieu « sexiste » et « raciste ». C’est pourtant une musicienne, d’origine sino-canadienne, Zhang Zhan, qui a tempré : « Depuis la mise en place des auditions à l’aveugle – qui garantissent un jugement uniquement axé sur le jeu, le nombre de femmes a considérablement augmenté : elles sont 30 % à l’orchestre symphonique de Boston, et 50 % à l’orchestre philharmonique de New York ».

En France, à l’Opéra de Paris, le directeur, Alexander Neef, a annoncé avoir confié trois des six nouvelles productions lyriques prévues pour 2022-2023 à des metteuses en scène. L’égalité n’est sans doute pas encore actée, mais beaucoup s’y emploient. Quant à Aliette de Laleu, qui a une chronique hebdomadaire sur France Musique, collabore au site Slate et anime conférences et tables rondes, elle est désormais présentée comme la spécialiste du sexisme dans la musique classique.

L’urgence ? Faire sauter les tabous …

Parler au nom des femmes, certaines en ont fait leur filon. Tout à la fois essayistes, romancières, scénaristes de BD, chroniqueuses et blogueuses, les reines féministes du podcast sont partout. La star du moment, c’est Maïa Mazaurette. Auteure, peintre, mais aussi chroniqueuse « sexo » dans les pages du Monde, Maïa Mazaurette a publié huit essais en un peu plus de dix ans, autant de BD en collaboration, et sept romans.

« Matin, midi ou soir ? ll n’y a pas d’heure pour le sexe » (gros scoop !). Ou encore : « La sexualité n’est pas l’élément le plus important dans l’orgasme » (ah ! vraiment ?). À côté, le petit Titeuf de la bande dessinée ferait presque figure de coach en sexe tantrique … On imagine difficilement un coach homme tenir une chronique dans le Monde en parlant de ses testicules et du tabou du plaisir prostatique, mais quand c’est une femme qui fait commerce de sa « sexpertise », il n’est pas permis de dire autre chose que : cette Maïa, elle est géniale, quelle audace, que talent !

Éviter les questions qui fâchent

Les podcasts consacrés aux questions féminines sont eux aussi légion, or que constate-t-on en les écoutant ? Qu’il y soit souvent fait mention du couple, oui, mais d’un couple d’urbains éduqués et prêts à se « transformer ».

il y est très rarement fait mention de la solitude des mamans séparées, divorcées, du célibat subi par les habitants des grandes ou villes, de la misère sexuelle et de la fatigue qui bloque libido de l’ouvrière de la France dite périphérique …

Les bourgeoises ne parleraient donc qu’aux bourgeoises ?

Même les musées surfent sur la vague. Bourgeoises ? Exposition « Même Pionnières : artistes dans le Paris des Années folles » au musée du Luxembourg (2022), mais aussi, plus étonnant,  « Girl power. Amour, et beauté : des ducs de Bourgogne aux Habsbourg » guerre au monastère de Brou, dans l’Ain.

Au musée de la Vie romantique de Paris, on a même osé l’exposition fourre-tout avec ;                « Héroïnes romantiques » : l’institution a eu l’idée de réunir des beautés et figures légendaires qui n’ont pourtant que peu de rapport les unes avec les autres : Jeanne d’Arc, Charlotte Corday, Médée ou Marianne, la républicaine guidant le peuple. En complément aux quelques toiles présentées, des petits panneaux nous expliquent que les artistes (hommes) ont longtemps œuvré dans l’idée de « construire et diffuser un modèle féminin indéniablement sacrifié ».

Et puis ? Et puis, c’est tout. Zéro contexte historique. Seule compte l’accumulation de faisceaux de preuves allant dans un seul sens ces messieurs, c’est évident, ont abusé de leurs frêles et fragiles modèles féminins …

Marie-Jo Bonnet, historienne et spécialiste des femmes artistes du XXe siècle, relève : « La vague #MeToo a déboulé, et soudain, les institutions ont découvert la richesse de la création artistique féminine. Mais le suivisme est une caractéristique de ces manifestations. Or ce suivisme efface ce qui s’est fait avant. Comme si les historiennes d’art n’avaient pas déjà accompli un énorme travail depuis cinquante ans … Le problème, pour moi, est dans l’approche victimaire, qui évite de se demander ce que les femmes apportent de nouveau. Par exemple, la tapisserie a été un domaine où les femmes ont accompli une vraie révolution au XXe siècle, mais les institutions n’en parlent pas. On en est encore à montrer les femmes comme victimes des hommes alors qu’elles se sont émancipées dans l’art ».

Tandis que le féminisme médiatique semble se résumer à des statistiques volontaristes (il faut 50 % de femmes partout !) ou à des débats sans fin sur la réorganisation de la vie domestique de cadres stressées, des questions telles que la précarité des mères isolées, du prolétariat féminin, de l’accès au logement pour les plus pauvres ou encore de la montée de la prostitution comme seul moyen de faire face à l’augmentation du coût de la vie restent sans relais médiatique. Pas assez vendeur, sans doute.

ELLE, Patrick Williams, 14 juillet 2022