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À Paris, on ne démolit plus, on transforme l’architecture !

Une exposition au Pavillon de l’Arsenal illustre le courant actuel de l’architecture visant à transformer l’existant plutôt que de construire du neuf. Ces opérations préfigurent le Paris de demain.

Le point commun entre l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, le garage de la rue Lamarck, au pied du Sacré-Cœur, et le poste de déchargement SNCF de Paris 19e ne saute pas aux yeux d’emblée. L’époque ? Les matériaux ? L’architecte ? Rien de tout cela. En réalité, chacun de ces lieux a perdu sa raison d’être originelle. Les trains ne circulent plus sur la petite ceinture, les enfants ont été priés d’aller se faire soigner ailleurs, quant aux Parisiens, ils n’achètent plus de voitures.

Pour autant, aucun de ces bâtiments délaissés, désaffectés n’a été démoli. Mieux, on les ressuscite. Le hangar TLM en brique rouge est promis à devenir un haut lieu de l’économie sociale et solidaire. Les couloirs de la clinique Marcel-Lelong, rehaussée de quatre niveaux, desserviront bientôt 134 appartements signés Lacaton et Vassal. Quand le garage repensé par l’agence Data agrège, lui, les obsessions du moment, bureaux, logements, salle de sport, espace logistique, le jardin partagé en moins.

Détruire doit rester l’exception. C’est ce que documente un travail mené par le Pavillon de l’Arsenal, le centre parisien d’urbanisme et d’architecture, qui a analysé les quelque 1 200         à 1 500 autorisations de travaux délivrées chaque année, depuis 2020, dans la capitale. Les trois quarts sont des demandes de transformation de l’existant. Ces opérations préfigurent le Paris de demain. Les premières doivent être livrées très prochainement, les autres d’ici      2024, 2025.

Conserver émet moins de carbone, rappelle l’architecte Guillaume Meunier, spécialiste de la construction bioclimatique. Un mètre carré construit, c’est 1,5 tonne de CO₂ émise pour cinquante ans, la moitié pour le bâti, la moitié pour l’usage.

Les bureaux actuels de l’assureur CNP, à la gare Montparnasse, à Paris. DILLER SCOFIDIO + RENFRO

Une démarche spontanée

Le mouvement n’a pas encore de nom. Mais des signatures reviennent, des profils se dégagent. À l’exception de l’architecte Jean-Paul Viguier, 76 ans, spécialiste de la création, et là, de la transformation de bureaux, la classe d’âge autour des maquettes tourne plutôt autour de 35-45 ans. La démarche est spontanée, dans le sens où aucune norme n’a contraint les productions, puisque la nouvelle réglementation, la RE 2020, ne s’applique qu’au neuf.

Toutes les villes européennes travaillent sur la réhabilitation. En France, Paris fait office de tête chercheuse. Il faut dire que la capitale n’a presque plus de parcelles vierges à céder, à l’exception des 80 hectares du quartier Bercy-Charenton et des deux derniers grands lots de la ZAC Paris Rive gauche, au bord du boulevard périphérique. La municipalité pousse aussi dans ce sens. Avant même de lancer la révision de son plan local d’urbanisme, qui doit être débattu lors d’un Conseil de Paris extraordinaire en avril, Emmanuel Grégoire insistait pour que la réhabilitation soit désormais la norme.

Le garage Lamarck actuel (à gauche), dans le 18ᵉ arrondissement de Paris, et le projet de transformation par l’agence Data (à droite). ARTEFACTORYLAB

En 2018, le Pavillon de l’Arsenal et les architectes de l’agence DATA publient la carte des 135 parkings (sur 500) qu’ils jugent transformables. Les conserver ferait économiser 120 000 tonnes de CO₂, estiment les ingénieurs du cabinet Elioth. Aussitôt, les privés font des offres.

Quatre ans plus tard, neuf projets sont validés. Bureaux, logements, bureaux et logements, appartements familiaux, commerces, tout se case dans ces squelettes de béton, à condition d’évider le cœur (garage Courcelles), de tailler des failles (Lamarck), de démonter la rampe (ancien garage Renault du quai de Grenelle) pour créer des vues et faire entrer la lumière. Le tout semble très habitable. Au 8e étage, quai de Grenelle, a été mis en vente l’un des studios les plus chers de Paris (1,78 million d’euros pour un peu plus de 50 m², soit plus de 30 000 euros du m²).

L’étude détaillée avant-après de chaque projet contredit aussi tous les promoteurs qui assurent que la création de bureaux dans l’existant n’est rentable qu’en augmentant le nombre de mètres carrés du bâtiment d’origine. Or, sur chacun des projets tertiaires étudiés, la surface d’arrivée est inférieure ou égale à celle de départ. On s’est donc fait avoir pendant des années même si qu’au vu de la complexité des chantiers, le coût de la réhabilitation par rapport au neuf, selon les modes de calcul actuels, est rarement divisé par deux. Les coûts d’étude sont même plus élevés, cela prend plus de temps. Il y a donc rarement un gain financier important.

Ce bâtiment construit à la fin des années 1960 a accueilli une crèche, un bureau de poste et des bureaux des PTT. 11H45

L’agence Nunc et le groupe La Poste créent un espace de logistique urbaine, et devant, contribuent au réaménagement de la dalle de Beaugrenelle (15ᵉ). NUNC ARCHITECTES

Une nouvelle esthétique

Sur le plan urbain, ces mutations sont autant d’occasions de reprogrammer la ville. L’ancienne cité administrative du boulevard Morland, dans le 4e arrondissement, ancien bloc de bureaux devenu un ensemble de 40 000 m² de logements, de bureaux, de commerces, d’hôtel de luxe, de marché alimentaire, devrait sortir de sa léthargie l’artère qui la borde. Ce mouvement est guidé par la nécessité d’adapter la ville au réchauffement climatique et de limiter les émissions carbone. C’est le retour aux formes oubliées. Ici, on n’aime pas bien les stores qui se ferment tout seuls (et parfois ne s’ouvrent pas). On préfère les casquettes qui abritent du soleil, les cours et les patios qui ventilent, les façades plissées qui multiplient les ouvertures, toutes ces formes que la technologie et la climatisation avaient fini par gommer.

Pour les nouvelles façades de la tour Natixis, à côté de la gare de Lyon, les architectes de l’agence LAN et Franck Boutté, lauréat du Grand Prix de l’urbanisme (dont Le Monde est membre du jury), ont dessiné des bow-windows qui prennent au maximum le soleil l’hiver et un minimum l’été. En bon élève, le Pavillon de l’Arsenal remplace son bloc de climatisation par une cour, au nord, qui ventilera l’intérieur du bâtiment de manière naturelle.

Le projet de transformation des anciens magasins Tati, dans le 18ᵉ arrondissement, à Paris, prévoit d’installer des logements, des bureaux, un hôtel, des commerces et un équipement culturel.

Ce programme imaginé par les architectes de Studio Belem permet d’apporter de nouvelles activités dans cet îlot autrefois entièrement dévolu au commerce.

Transformer est aussi une attente forte de la société. Aujourd’hui, il serait impossible de démolir tous les bâtiments qui sont présentés. Les riverains s’y opposeraient. Avant, on disait : je vous construis cinquante logements. Aujourd’hui, on regarde le bâtiment, on fait des études, on se demande ce qu’on pourrait y faire pour demain, et ensuite on définit le projet. Ça n’est plus la méthode “je gagne mon concours, je dépose mon permis, je commande mes matériaux”. » Mais le tempo n’est pas le même. D’autres contraintes sont à prendre en compte.

D’autant que ces projets font la part belle au réemploi, comme aux matériaux biosourcés et géosourcés. Ce qui suppose des changements profonds d’habitudes. La pierre ne se commande pas au démarrage du chantier. Il faut dessiner un plan de calepinage, prévenir les pierreux à l’avance. Le bois, c’est pareil. La filière du réemploi émerge, mais il faut encore la structurer.

Mais, si tout le monde se met à démonter, déconstruire, répertorier, réutiliser, la maternité Saint-Vincent-de-Paul a le plus fort taux de coefficient de réemploi, encore faut-il pouvoir stocker.

Dans une ville dense comme Paris, cela va devenir un vrai sujet à traiter

Le Monde, Emeline Cazi, 23 février 2023