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Vous ne passez plus pour un ou une loubarde !

Le tatouage est une passion pour 1 français sur 5, il s’ancre de plus en plus dans nos mœurs. La profession, a beaucoup évolué et doit dès maintenant faire face aux défis d’une nouvelle génération.

Longtemps considéré comme la marque des parias, le tatouage est devenu presque banal, suffisamment populaire pour soutenir des conventions internationales comme le Tattoo Planetarium, qui s’est déroulé du 4 au 6 novembre à La Villette et a réuni plus de 500 artistes des quatre coins du globe et 15000 visiteurs.

La preuve que le tattoo est désormais à la portée de chacun. « Tout le monde s’est rendu compte qu’il pouvait porter un tatouage sans passer pour un loubard, explique Abdel Pedro, tatoueur qui vient d’ouvrir son propre salon. Certains motifs étaient connotés, comme la toile d’araignée sur les coudes, mais au fur et à mesure ils ont été réinterprétés et sont passés dans l’imaginaire et dans la vision commune. »

L’encre attire de plus en plus d’adeptes et cela n’est pas près de s’arrêter. Selon l’agence d’intérim en ligne, Qapa.fr, dernière instance à avoir réalisé un sondage sur la question en 2019, au moins 19% de la population française seraient tatouée, soit une personne sur cinq.

Chaque artiste reconnu pour un style unique est booké de longue date, souvent pour l’année. Un succès qui s’explique non seulement par la vision positive du tatouage mais aussi par sa capacité à transcender les classes sociales et les catégories d’âge. De plus en plus présent sur les podiums des défilés, il devient un marqueur de goût, également apprécié des enseignes de luxe qui n’hésitent plus à collaborer avec des tatoueurs.

Le minimalisme à double tranchant 

Si les pièces imposantes et/ou voyantes soulignent une meilleure acceptation des corps tatoués, une des grandes tendances du tatouage moderne est en fait la création de modèles épurés à l’extrême sous la forme de tracés géométriques, en opposition aux aplats qui ornent le corps des tatoués plus vieux.

Facilité par le passage de la machine à bobine à la machine rotative, ce style gagne en popularité notamment auprès d’un public féminin qui privilégie encore les motifs discrets.

Une lubie qui s’est également répandue grâce aux réseaux sociaux et qui n’est pas sans risque :

« Souvent, les gens nous amènent des photos et ils nous disent : « Regarde là, je l’ai vu sur Internet, ça existe c’est faisable », et on doit leur dire: « Méfie-toi. parce que si tu prends le soleil ou autre, les lignes vont un peu s’épaissir et elles vont se toucher. Si c’est trop clair, ton tatouage dans deux ans, il ne sera plus là. »

On leur explique car on est là pour les éduquer, mais parfois les gens sont plus attachés à la photo de leur tatouage qu’au tattoo lui-même, ce qui est assez étrange» , reconnaît Abdel Pedro qui a déjà refusé plusieurs fois de répondre à cette demande.

Œuvres au noir

Chez les tatoueurs, être tendance n’est en général pas le but escompté car contrairement aux vêtements et à la mode, le tatouage reste, affirme Maud Dardeau, qui a développé en France un style inspiré des gravures de Gustave Doré dès les années 2010.

Travaillant uniquement sur devis, elle propose une expérience singulière, plébiscitée par ses clients qui n’hésitent pas à venir de loin pour des « pièces » de qualité que seule la Bordelaise peut leur offrir. Les estimations peuvent aller de quelques centaines d’euros pour les plus petites créations à plusieurs milliers d’euros pour un corps entier.

La singularité plaît au public et notamment aux initiés, qui cherchent à faire collection de motifs uniques. Abdel Pedro, qui a travaillé en tant qu’illustrateur dans l’animation avant de succomber aux sirènes du tatouage, en a gardé un style inimitable et le goût des couleurs.

Malgré tout, les accros de l’encre et de l’aiguille cherchent à rester proches de leurs fondamentaux. Les motifs comme la pin-up, l’ancre ou les symboles tribaux restent ainsi d’actualité.

Mais certains choisissent d’insuffler une touche de modernité aux anciennes pratiques : « En piochant dans la tradition, mais aussi avec un petit côté novateur, les artistes font leur révolution », confie Emma Rouquette, tatoueuse réaliste.

Elle ne tarit pas d’éloges sur les têtes d’affiche de sa profession comme le Canadien Stace Forand, plus connu sous le nom de Waterstreet Phantom, qui incorpore à la tradition japonaise de l’irezumi, une vision rituelle de l’encrage vieille de quelques millénaires, les références des animes et des mangas pour un résultat haut en couleur.

Une concurrence low cost

Au-delà de ces tatoueurs trentenaires à la jonction entre les enseignements de leurs aînés, des maîtres qui leur ont tout appris du métier jusqu’au ménage et à la gestion du salon, des novices sont bien décidés à imposer leurs propres règles. Pour ceux qui ne font pas le choix des écoles fleurissant sur le territoire le tatouage s’apprend en autodidacte.

Refusant aussi les apprentissages en salon qui compensent normalement l’absence de diplôme et peuvent durer des années, cette nouvelle génération tatoue depuis chez elle, armée de machines commandées sur Internet en quelques clics, en suivant des tutoriels en ligne.

Cette concurrence inquiète les tatoueurs traditionnels, qui se doivent de rester attractifs face à ces semi-pros aux tarifs plus bas, puisqu’ils n’ont pas à payer de locaux. D’autant qu’elle génère aussi des problèmes pour les clients que les tatoueurs installés sont de plus en plus nombreux à devoir corriger : « On ne peut pas tatouer comme ça en partant de rien car autrement on va faire des dégâts. Dessiner sur la peau, ce n’est pas du tout comme dessiner sur du papier », explique Emma Rouquette dont le « recouvrement » est une des spécialités.

Si de nombreux jeunes tatoueurs tiennent à respecter les enseignements de leurs aînés, ils espèrent injecter à la profession de nouvelles valeurs, plus proches de celles qui sont chères à leur génération.

Les encres interdites

Dernier coup de massue : l’interdiction de l’usage de certaines encres de couleur en janvier 2022. Devoir trouver des substituts a de lourdes conséquences économiques sur les tatoueurs et, dans certains cas, les alternatives proposées, davantage diluées, n’ont pas le même rendu sur la peau.

À partir de 2023, certains pigments bleus et verts pourraient être amenés à disparaître, une menace de taille. A l’heure où le travail de la peau pose des contraintes, les motifs, comme les œuvres d’art avant eux, déferlent dans le monde virtuel par le biais des NFTs.

Les Echos, Léa Colombo, 25 novembre 2022