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Champignons : Vont-ils sauver le monde ?

Dans une civilisation qui croule sous les déchets, ils sont nos meilleurs alliés grâce à leur propriété de nettoyeurs de la nature

Dévorer ses propres mots. Et en faire une fricassée relevée d’huile d’olive et d’ail pour appuyer son propos. En juin 2020, lors de la sortie de son premier livre, consacré au monde caché des champignons, Entangled Life (Random House), le jeune botaniste britannique Merlin Sheldrake se livrait à une expérience. Faire pousser des Pleurotus ostreatus (une variété de pleurote en forme d’huître) au sein même d’un exemplaire de son ouvrage, après l’avoir ensemencé de spores et placé dans un sac humide et fermé.

Un mois plus tard, le docteur en écologie de l’université de Cambridge postait, sur son compte Twitter, une vidéo de la dégustation de sa myciculture, nourrie à l’encre et au papier. « Ils étaient délicieux, je n’ai senti aucun goût bizarre, ce qui prouve que les champignons ont complètement métabolisé le texte. »

Econome et quasi inépuisable

Avant lui, le gourou de ce végétal, le mycologue américain Paul Stamets, avait déjà développé l’idée selon laquelle le champignon est le nouveau viatique de la transition écologique. Une théorie exposée notamment dans une conférence TED intitulée « Six façons dont les champignons peuvent sauver le monde », sept millions de vues, mais aussi dans Fantastic Fungi, un documentaire du réalisateur américain Louie Schwartzberg, actuellement diffusé sur Netflix.

Longtemps relégué à la lisière des forêts ou de l’assiette, parfois méprisé, cet organisme suscite un intérêt grandissant. Et pousse partout depuis quelque temps. Le mycélium, l’appareil végétatif souterrain des champignons constitué d’une multitude de filaments, est désormais une solution de remplacement écologique sérieuse à la viande, au cuir, au plastique, au béton, aux matériaux isolants…

Dans la mode, Adidas, la créatrice Stella McCartney et même Hermès, en annonçant la commercialisation d’ici à la fin de 2021 de son premier sac en cuir végétal de champignon, le sac de voyage Victoria, en font leur étendard vert.

« Dans une civilisation qui croule sous les déchets, ils sont nos meilleurs alliés grâce à leur propriété de nettoyeurs de la nature », estime Marc-André Selosse, mycologue

Il faut dire que, cultivée sur des substrats issus de déchets agricoles, la biomatière coche toutes les cases de la durabilité. Économe en eau, en électricité, rapide à fabriquer (après néanmoins des années de recherche et développement) et, contrairement à d’autres options, quasi inépuisable. Des qualités qui laissent augurer l’extension du domaine de ce végétal à bien d’autres produits, en particulier dans l’industrie alimentaire.

Mangeur de polluants

Gil Burban, cofondateur de la start-up YpHen, défend le champignon comme une innovation de rupture depuis plus de dix ans. Sans avoir vraiment pu financer, jusqu’à récemment, sa conviction. L’engouement récent pourrait l’aider, même si « parler champignon à des investisseurs français est encore perçu comme exotique ».

La prise de conscience écologique mais aussi l’envie de nature servent aujourd’hui la cause fongique. Depuis la crise sanitaire, les Français ressentent plus que jamais le besoin d’aller s’aérer. Cet automne, nombreux ont retrouvé les chemins forestiers, la cueillette des cèpes, girolles ou coulemelles. Revers de la médaille : les intoxications liées aux champignons sont en forte hausse (déjà plus de 1 000 cas depuis juillet), alors que la saison est loin d’être terminée. Mais la perspective d’une bonne omelette n’est pas la seule motivation des mycologues du dimanche.

Hervé Cochini, 55 ans, animateur nature en Ardèche et cueilleur professionnel, organise des sorties champignons, et chaque fois la sauce prend. « On part pour une heure et demie, et finalement on revient au bout de trois heures. Tant l’envie d’en savoir un peu plus sur l’un des organismes les plus résilients et les plus autonomes de la nature prend le pas. »

Etonnant ? Pas vraiment. Des règnes du vivant, celui des champignons est le moins connu, celui dont on a identifié et répertorié le moins d’espèces. C’est pourtant l’un des plus vastes. Ils prolifèrent sur absolument tous les sols et dans les organismes. On ne sait combien il y a de variétés de champignons, car les fructifications visibles à l’œil nu (avec chapeau et pied) ne sont que la partie émergée d’un énorme iceberg. Quelque 140 000 espèces auraient été répertoriées sur un nombre total estimé de 1,5 à 30 millions ! Quant à son réseau racinaire (le mycélium), il peut s’étendre sur toute une forêt, et communique en réseau avec la totalité du monde végétal, ce qui lui vaut le surnom de Wood Wide Web.

Seule certitude : sans eux, neuf plantes sur dix mourraient, car la plupart vivent en symbiose avec elles dans une relation « gagnant gagnant ». Les champignons aident les plantes à aller chercher l’eau et les sels minéraux dans le sol ; en retour, elles leur fournissent des glucides, indispensables à leur survie.

 

Le Monde, Catherine Rollot, 22 novembre 2021