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Voici votre repas !

Les jeunes ont fait valser les codes de notre alimentation de façon inédite. Ils se sont mis à bouder la viande, les produits laitiers, le vin, le café. Ils ne jurent que par le végétal, la bière et les boissons énergisantes.

On nous avait annoncé de la nourriture encapsulée, des aliments connectés, des pizzas imprimées en 3D, des combinaisons de saveurs générées par de l’intelligence artificielle. Bref, une expérience culinaire qui allait tout changer. Eh bien, pas du tout.

En un temps record, la génération Z, ceux qui sont nés entre 1996 et 2010, s’est mise à bouder la viande, le vin, le café et les produits laitiers, très prisés des baby-boomeurs. Pour ne jurer que par le lait d’amande, les substituts à base de végétaux, la bière et les boissons énergisantes.

Terminés, le bœuf miroton, les fromages au lait cru et les vins vieillis en cave ! Les jeunes générations n’épargneront rien au repas gastronomique des Français, pourtant inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.

Fossés générationnels

À ce compte-là, que va-t-on trouver dans nos assiettes en 2050 ? Bien sûr, dans l’épaisseur du temps, le goût des jeunes va évoluer, leur palais va s’affiner, leurs papilles s’éveiller à de nouvelles saveurs. Il n’empêche, comme le souligne le sociologue Éric Birlouez, « on fait face, aujourd’hui, à de véritables ruptures générationnelles ».

Selon une étude de Statista, ils sont 20 % de cette tranche d’âge à déclarer se passer entièrement de viande contre 4 %seulement pour les baby-boomeurs.

Cependant, si les jeunes générations ont pris leur distance avec l’andouillette, l’entrecôte et le poulet rôti, ils n’ont pas tous renoncé pour autant à la bidoche. « Ils la consomment différemment, sous forme de plats cuisinés, de burgers ou de kebabs », veut croire Anne Charlotte Dockès, de l’Institut de l’élevage. Question de perception aussi, paraît-il : « Quand ils commandent une planche mixte à l’apéro, ils n’ont pas l’impression de manger de la charcuterie », renchérit Anne Richard, directrice de l’interprofession porcine.

De fait, en 2021, les Français ont consommé, en moyenne, 85,1 kg de viande, soit une légère hausse par rapport à l’année précédente (+ 0,7 %). Mais, tendanciellement, cela fait vingt ans que la viande cède du terrain. « D’ci à 2050, on tombera vraisemblablement aux alentours de 50 kg », pronostique l’économiste Bruno Parmentier, soit le niveau des années 1950.

De même, seulement 40 % des 18-27 ans consomment régulièrement du lait, des yaourts ou du fromage. Deux fois moins que les baby-boomeurs. Normal : on ne les a pas autant biberonnés avec des spots télé prétendant que « les produits laitiers sont nos amis pour la   vie », slogan phare des professionnels du lait des années 1980.

Au contraire, on les a noyés sous des injonctions contradictoires et des controverses à n’en plus finir. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner de les voir se jeter sur le l’air d’avoine, de coco ou d’amande. Simple effet de mode ? Selon les projections du CNRS, nous pourrions boire deux fois moins de lait en 2050.

Comment va-t-on, à ce compte-là, satisfaire demain nos besoins en protéines? Il y a une chose à laquelle on ne pourra pas échapper : les légumineuses (haricots, lentilles, pois chiches, etc.). Associées à des céréales, elles apportent les acides aminés essentiels pour constituer une source de protéines autres qu’animales. Des légumineuses sans viande ?          « Mais quel ennui! », s’écrieront, pour un moment encore, les boomeurs, adeptes du cassoulet, du chili con carne et du petit salé aux lentilles. Encore faudrait-il savoir les cuisiner. Isabelle Maître, de l’École supérieure des agricultures d’Angers (ESA), en convient : « Les recettes existantes avec ces légumineuses n’ont pas encore ruisselé dans l’assiette des consommateurs. »

« On en consomme 1,7 kg par an et par habitant, alors qu’il faudrait tendre vers les 10 kg », confirme Michel Duru, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).

L’américain Beyond Meat n’est pas au mieux de sa forme, le géant de la viande brésilien JBS a tout bonnement fermé sa division de substituts végétaux, et McDo a discrètement retiré du menu de certains de ses établissements son McPlant, burger au steak végétal lancé il y a deux ans. Il ne faut pas s’y tromper, si l’on veut que nos assiettes se parent dans trente ans de ces substituts, il sera nécessaire d’en faire des aliments plus savoureux, nettement moins transformés et accessibles en matière de prix.

Car les ruptures générationnelles opèrent tout autant quand il est question de pouvoir d’achat. « Celui des jeunes d’aujourd’hui est bien plus faible que celui de leurs aînés au même âge », souligne Pascale Hebel, de la société de conseil C-Ways.

En cause : les emplois précaires et le poids du logement dans leur budget. Le phénomène était passé un peu sous les radars avant la pandémie, mais, « avec le Covid, la détresse des étudiants est apparue au grand jour », rappelle la sociologue Guénaëlle Gault.

Cherchez l’ersatz

Enfin, il y a tous ces objets gastronomiques non identifiés, ce que l’on appelle à Bruxelles la     « novel food »  dont il faut encore évaluer les risques. C’est le cas des insectes, pour lesquels la Commission Européenne a commencé à donner son feu vert au compte-gouttes. Sous nos latitudes, on goûte encore peu le criquet, le grillon et le ver de farine.

Pas sûr qu’on change d’appréciation d’ici à 2050. En revanche, les algues (nori, dulse, wakamé…) suscitent beaucoup d’espoir en raison de leur teneur en protéines et en micronutriments, surtout les microalgues. Plus controversée, la question de la viande in vitro. Ce qui n’était qu’un scénario de science-fiction est en train de devenir une réalité.

Des apprentis sorciers cultivent déjà dans des boîtes de Petri des cellules vivantes prélevées sur des animaux pour fabriquer de la viande synthétique.

Non seulement on manque d’études robustes quant à son impact sur l’environnement, mais ses coûts de production sont stratosphériques. Bref, il y a peu de risque de voir les steaks in vitro atterrir massivement dans nos assiettes dans les trente années à venir, tant cela est peu compatible avec notre rapport hédonique à l’alimentation. Il en sera probablement de même avec les protéines de lait fabriquées en laboratoire que nous promet la fermentation de précision. Un procédé qui permet de produire de la caséine sans recourir à des vaches mais qui nécessite une manipulation génétique.

D’ailleurs, que va-t-on boire avec tout ça ? Les jeunes générations s’entichent, paraît-il, de boissons légères, à bulles et rafraîchissantes, comme la bière, le cidre, le bubble tea et le kombucha.

Forcément, ça disqualifie un peu le vin. Alors que près d’un baby-boomeur sur deux boit régulièrement de cette boisson traditionnelle, ce chiffre tombe à 18 % chez la génération Z, qui en a une consommation occasionnelle et nomade. « Le côté sacralisé du vin, avec l’image du vin rouge, vieilli en cave, est souvent devenu une barrière à l’entrée, notamment pour les jeunes », souligne Hervé Hannin, de l’Institut Agro Montpellier. En revanche, ils nourrissent moins de complexes à boire du vin blanc et du rosé. Vont-ils craquer pour le vin en canette? Il ne manquerait plus que ça !

S’il n’y avait que le contenu de nos assiettes qui allait changer d’ici à 2050… Mais non : les jeunes générations bousculent tout autant les normes sociales de notre alimentation. Après avoir fait voler en éclats le repas pris en famille, ils ont cédé aux charmes de l’ubérisation. Encouragée par le télétravail, la livraison de repas à domicile va probablement bouleverser notre manière de consommer d’ici au milieu du siècle.

Marianne, Géraldine Meignan, 4 janvier 2023