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Une révolution est en cours !

Et si, à l’instar des Anglais, nous allégions le concept de propriété, pour la rendre accessible au grand nombre, en faisant de l’hypothèque un actif transmissible ?

« Nous, notaires, avons un rôle à jouer dans l’accompagnement des politiques d’urbanisme. Nous sommes, aux côtés des Français et sur tout le territoire, acteurs du logement. »

C’est avec cette tonalité collective et proactive que la nouvelle présidente du Conseil supérieur du notariat lance la première édition 2023 du Club du droit. Sophie Sabot-Barcet insiste sur le mot « logement », qui englobe l’immobilier et la façon dont il doit être repensé. La présidente évoque deux grands déclencheurs à cette révolution urbaine :

  1. L’un est structurel

Lié à la loi climat et résilience visant à accélérer la transition écologique : l’objectif du « zéro artificialisation nette » des sols, la lutte contre l’étalement urbain, la stigmatisation des passoires thermiques et la performance énergétique, désormais un critère dans les négociations immobilières.

  1. L’autre est conjoncturel

Deux ans après la pandémie, les nouveaux modes de vie et envies des Français se confirment. Le besoin d’espace, de verdure, la porosité entre les sphères professionnelle et familiale, et ce que Sophie Sabot-Barcet appelle la « déconnexion connectée », concept qui induit le développement des infrastructures en ruralité et la revitalisation des villes moyennes.

Dans cette optique, les programmes d’investissement public Action cœur de ville et Petites villes de demain sont largement soutenus par les notaires, qui en mesurent régulièrement les effets et avancées.

Par ces actions, les pouvoirs publics tentent de réguler des évolutions qui nous dépassent. Et pourtant, « nous avons collectivement perdu la main sur la maîtrise de l’immobilier dans notre espace urbain, tellement les défis à relever pèsent sur nos choix. »

Philippe Pelletier relève deux phénomènes difficiles à maîtriser par l’homme, qui guident les grands changements sociétaux que nous vivons. Deux « chocs » majeurs.

Premier choc climatique, dont selon lui on ne mesure pas assez la gravité des enjeux. Le président du conseil de développement de la métropole du Grand Paris explique le drame que représenterait une hausse de température de 4 degrés.

La rénovation, une source d’espoir

Il rappelle qu’une telle hausse a caractérisé la fin de la période glaciaire et l’entrée dans l’holocène, provoquant la disparition des grandes espèces animales et la montée des eaux à l’origine, par exemple, de l’émergence de la mer Noire et du golfe du Morbihan.

Deuxième choc inéluctable, démographique cette fois : l’allongement de la durée de vie. En 2030, la France comptera plus de 4 millions de personnes de plus de 85 ans. Comment les loger ? Comment cette population fragile et possiblement dépendante va-t‑elle investir l’espace urbain ? Les 18 millions de maisons individuelles existantes auront-elles toujours un sens ?

Ce connaisseur de l’immobilier évoque plusieurs pistes pour répondre à ces nouveaux enjeux.

Il préconise d’abord d’encourager la volonté du gouvernement de décentraliser les politiques de logement. Ensuite, il enjoint de trouver un équilibre entre construction et rénovation, et de ne pas constamment devoir choisir entre ces deux voies. Enfin, sur le sujet si sensible de la propriété, Philippe Pelletier hasarde une solution qu’il qualifie de « décapante » : et si, à l’instar des Anglais, nous allégions le concept de propriété, pour la rendre accessible au grand nombre, en faisant ainsi de l’hypothèque un actif transmissible ?

Julien Rousseau rebondit avec enthousiasme : « Cette reconsidération de la propriété nous permettrait d’évoluer, de rendre la pierre moins figée, d’insuffler de la liberté dans l’acte d’acheter. »

L’architecte et fondateur de l’agence Fresh n’est pas venu les mains vides. Il montre un exemple concret d’une réhabilitation de bâtiment portée par un acteur majeur du secteur immobilier, BNP Paribas Cardif. Derrière lui défile une vidéo relatant la transformation en cours d’un immeuble de bureaux datant des années 1970 en immeuble d’habitations, en plein cœur de Boulogne-Billancourt.

Un projet audacieux et ambitieux, permis notamment par la loi Elan : le bonus de constructibilité permet de compenser à la fois les surcoûts de construction liés à la transformation et les pertes de surfaces liées aux parties communes.

La problématique est simple : comment recréer de la valeur à partir d’un bâtiment obsolète, aux surfaces mal réparties et bitumées ? Accastillages de balcons, loggias, surfaces extérieures végétalisées et ombres portées sont les solutions choisies par le rénovateur, les architectes et la commune.

Ce cas pratique répond à plusieurs enjeux urbains majeurs : la rénovation à partir de 60 % de la structure existante est moins énergivore que la construction, le changement climatique est anticipé, et le quartier sera revitalisé, verdi et embelli.

Edouardd Grimond, notaire à Lille (59) porte-parole du CSN, chargé de l’immobilier

Quels sont les freins à cette transformation ?

Le premier a trait aux règles juridiques dans l’urbanisme. Le droit de la construction est contraignant, la nature même des autorisations demandées est lourde, comme le permis de construire ou la règle de la majorité dans une copropriété, souvent bloquante pour un changement d’usage.

Ensuite, le facteur économique peut freiner les professionnels du bâtiment : transformer un immeuble de bureaux en logements peut se révéler plus coûteux que de raser et     reconstruire !

Il y a aussi une dimension géographique à ne pas négliger : les immeubles de bureaux se trouvent parfois en périphérie, au cœur de zones d’activité non résidentielles, mal desservies par les transports et surtout loin des commodités dont veulent profiter les familles.

Enfin, pour les investisseurs institutionnels, la rentabilité d’un immeuble d’habitations est plus faible que celle d’un bâtiment tertiaire.

Quels sont selon vous les grands enjeux du changement d’usage des bâtiments     tertiaires ?

J’en vois deux, qui sont urgents et se rejoignent : le changement climatique auquel nous devons faire face en limitant les émissions de CO2. Il faut pour cela construire la ville sur la ville. Ensuite, la vacance d’un grand nombre de logements, liée à leur mauvaise performance énergétique. Nous devons nous attacher à transformer le bâti pour optimiser les espaces urbains.

Journal du dimanche, Chloé Rossignol, 18  mars 2023