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« Shifter », la nouvelle tendance des ados, entre la méditation profonde et l’auto-hypnose !

Si votre enfant passe des heures allongé sur son lit, les yeux dans le vide, il est peut-être en train de s’évader dans un monde parallèle peuplé de sorciers ou de vaisseaux spatiaux.

« Hier, j’ai réussi à « shifter » ! Je me suis retrouvée dans la cour de Poudlard avec Drago Malefoy, c’était trop bien », s’enthousiasme Clara, 14 ans. « Quand j’ai fait mon premier vol sur balai, j’ai senti le vent dans mes cheveux. Fallait bien s’accrocher pour ne pas tomber. Mais le « shift », quand on y arrive, c’est génial », s’exclame Emma. Shifter, ça ne vous dit rien ? C’est normal. C’est la dernière tocade des 13-18 ans, majoritairement des filles.

Le shift est une sorte de méditation profonde, voire d’auto-hypnose, qui permet aux ados de quitter le CR (« current reality »), la réalité actuelle, pour rejoindre leur DR (« desired reality »), la réalité désirée. Shift, CR, DR… ce nouveau vocabulaire et cette tendance venue des Etats-Unis ont émergé sur TikTok, le réseau social des ados. « C’est pendant le confinement, en 2020, qu’on s’y est mis », affirme la youtubeuse Julie Akasha (sa chaîne rassemble 117 000 abonnés), professeure de méditation et « shifteuse » à ses heures. « Changer de réalité en plein Covid-19, cela se conçoit parfaitement, confirme-t-elle. La plupart des ados shifteurs veulent rejoindre un univers de “fan fiction”, en particulier celui de Harry Potter, mais l’on peut aussi décider de shifter pour se retrouver dans Star Wars ou, comme je l’ai fait, en Egypte au temps des pyramides. »

Tout commence par le script…

Le rêve éveillé a existé de tout temps. C’est l’une des grandes activités des ados, quelle que soit la génération. « Mais aujourd’hui, il devient tendance, grâce à l’arrivée de la réalité augmentée et à l’immersion totale dans un autre monde, même si les ados n’en ont pas besoin pour shifter, souligne la psychanalyste Sophie Braun, auteure de la Tentation du repli (Le Mauconduit). Ça me rappelle les super-héros, débarqués dans les années 40 pour réparer les frustrations et le sentiment d’impuissance provoqués par la guerre.

Le Covid-19 a sans doute aussi joué un rôle dans le succès du shifting. » Celui-ci a ses codes, ses rituels et ses méthodes, que les ados s’échangent sur Instagram ou sur TikTok. Tout commence par un script, le plus précis possible : on décrit son personnage rêvé, le cadre, le décor, etc. « Plus il est détaillé, plus il sera facile de shifter dans l’autre réalité », explique Julie Akasha. Reste ensuite à utiliser l’une des techniques pour shifter, proches de la méditation guidée, que ce soit la méthode Raven – on est allongé sur le dos sans bouger – ou celle du train – on compte jusqu’à cent, jusqu’au moment où l’on se retrouve sur le quai, dans sa nouvelle réalité.

Une transe sans chaman

« C’est mieux qu’un rêve… On l’éprouve dans son corps. C’est une autre dimension du réel », assure Julie. « Ça me semble assez proche de la transe chamanique, analyse Sophie Braun, sauf que celle-ci est conduite par un chaman, qui permet d’y entrer et d’en sortir. Ici, ils sont seuls… même s’ils sont soutenus par une communauté sur les réseaux sociaux, ce qui est bien. » Y a-t-il un risque ? « Le risque, c’est celui de refuser de grandir et d’affronter le réel, comme Peter Pan », souligne la psychanalyste. Si notre ado passe plus de temps à nourrir son rêve que sa réalité, il faut aborder le sujet.

« Ce que je conseille aux parents dont les enfants passent beaucoup de temps dans une autre réalité, c’est de revenir toujours aux sensations du corps. Et ça démarre tout petit ! Il faut les entraîner à respirer l’odeur de la forêt, à malaxer la terre, à affronter les éléments, choses impossibles en shiftant. On peut aussi rappeler à son ado que c’est tout de même mieux d’embrasser un garçon pour de vrai que de se retrouver dans les bras de Drago Malefoy ! » conclut la psy.

Version Femina, Sophie Carquain, 2 décembre 2021