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Serait-ce le Graal des publicitaires à l’âge de la bataille pour l’attention ?

Le point médian fait oublier la forêt du langage inclusif ! Est-il le nouveau gage de mémorisation de la com ?

Cela fait plusieurs années que des organisations et des marques utilisent le point médian, l’un des outils de l’écriture inclusive, dans des supports de communication. La Mairie de Paris l’emploie sans faillir depuis 2017, Netflix a tenté l’expérience en 2019, on en a vu en ouvrant l’application Deliveroo au moment de donner « un pourboire au livreur·se » (depuis devenu :   « livreur ou livreuse »)

Depuis quelques mois, on observe une accélération de l’utilisation dans les campagnes d’affichage de ce signe de ponctuation emblématique du langage inclusif, un mouvement qui vise à rendre plus visibles les femmes dans la langue française en évitant l’usage systématique du genre grammatical masculin pour parler de groupes mixtes. Mais le point médian défraie la chronique et son utilisation, surtout en publicité, est loin d’être anodine.

Le point médian, fait oublier la forêt du langage inclusif !

Le point médian, c’est un signe de ponctuation qui sert, à l’écrit uniquement, à abréger la forme féminine et masculine d’un mot en un seul pour gagner du temps et de l’espace. À titre personnel, je l’utilise uniquement quand le féminin et le masculin du mot sont proches (comme étudiant·e ou avocat·e), pas quand ils se terminent de manière trop différentes (comme livreur·se ou lecteur·ice).

Je préfère alors une autre méthode comme écrire : livreur ou livreuse, ou lectorat. Mais les usages du langage inclusif sont encore mouvants et on observe une multitude de pratiques y compris l’usage du point final, de la parenthèse ou de la majuscule à la place du point médian.

Une étude menée par Mots-Clés et Google sur la perception de l’écriture inclusive par les internautes a mis en évidence un paradoxe : si la majorité est défavorable à 58% à l’écriture inclusive, c’est en réalité le point médian et les néologismes (comme « lecteurice » en un seul mot) qui sont rejetés à plus de 60% et non pas les autres outils du langage inclusif comme le féminin des noms de métier (la Première ministre) ou l’utilisation de mots englobants ou épicènes (équipe ou membres, plutôt que collaborateurs).

En d’autres termes, les internautes sont favorables à des alternatives à l’emploi du masculin     « qui l’emporterait sur le féminin » mais pas à celles qui impliquent de changer la manière d’écrire les mots, comme le point médian. C’est pourquoi il est important de bien distinguer le point médian en tant qu’outil plutôt rejeté par l’opinion (outil dont on peut très bien se passer pour écrire en inclusif comme le prouve cet article) du principe, majoritairement accepté, du langage inclusif qui vise à rendre visibles femmes et hommes dans le choix des mots.

Dans ce contexte de fort rejet du point médian et dans un pays où il crée la polémique jusqu’aux plus hautes sphères politiques et médiatiques, quels avantages les marques trouvent-elles à y recourir ?

Recruter, représenter, inclure !

Quand on sait qu’une offre d’emploi écrite au masculin attirera moins de candidatures féminines qu’une annonce rédigée en inclusif, on comprend l’intérêt d’une entreprise comme Verisure à utiliser le point médian (en renforcement d’une image représentant un homme et une femme) dans une campagne de recrutement pour des métiers de la sécurité où les femmes sont historiquement sous-représentées.

Pendant le mois des fiertés LGBT, TikTok a communiqué, avec le slogan « plus fort·e·s ensemble » : un alignement évident avec les valeurs que voulait porter le réseau social à ce moment-là sur l’idée même d’inclusion à la communauté TikTok de toutes les personnes, indépendamment de leur identité de genre ou d’orientation sexuelle.

TikTok étant par ailleurs l’un de réseaux sociaux les plus populaires chez les jeunes, qui sont aussi les plus enthousiastes face au langage inclusif, c’est également un alignement avec les pratiques de leur propre audience.

Quant à Klarna, une fintech qui propose un système de paiement en 3 fois sans frais intégré aux sites de nombreuses marques mode, l’enjeu était sans doute inverse : clairement marketé pour une cible féminine désireuse de faire du shopping en maîtrisant son budget (leur site web ressemble à un magazine féminin regorgeant d’images stéréotypées autour de la coiffure et du maquillage, le tout sur fond rose).

Le service a trouvé une punchline simple mais efficace : « Pressé·e d’acheter. Pas de payer ». La mettre totalement au féminin n’aurait-il pas exclu la cible masculine du message de ce service tout de même accessible à tout le monde ?

Le point médian, nouveau gage de mémorisation publicitaire ?

Que ces publicités soient le fruit d’une initiative individuelle passée inaperçue ou le résultat d’une réflexion profonde sur l’impact des mots sur le recrutement, la visibilité et l’inclusion des femmes, le point médian ajoute ici une dimension supplémentaire à ces pubs.

Ce signe dont on pourrait se passer reste le plus polémique et le plus remarquable de l’écriture inclusive. Il est le témoin d’un certain courage en communication par une prise de risque dans l’affichage de valeurs, certes largement consensuelles aujourd’hui (l’égalité de genre), mais sous une forme largement rejetée (le point médian). Et cette prise de risque, qui se montre aujourd’hui dans l’espace public et pas seulement dans les profondeurs d’une page web ou d’une appli, peut être aussi une manière d’interpeller et de marquer plus efficacement les personnes exposées, qu’elles soient réfractaires ou favorables à l’écriture inclusive, car la rareté du point médian en publicité en fait un outil de distinction et de mémorabilité. Et n’est-ce pas cela le Graal des publicitaires à l’âge de la bataille pour l’attention ?

L’ADN, Alicia Birr, 05 octobre 2022