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Range, trie, aime…

L’idée n’est pas de se transformer en maniaque du rangement, mais d’endiguer le         trop-plein, d’aller à l’essentiel et de ressentir ainsi, un sentiment d’accomplissement. On essaie ?

Comment libérer du temps et de l’espace pour ce qui compte vraiment dans nos vies ?

« Vivre mieux avec moins », c’est bel et bien le défi de l’« écologie d’intérieur », le protocole de « détox » de la surabondance mis au point par Marie Quéru sur son compte Instagram @larrangeuse et dans un tout nouveau livre. S’agit-il d’une « disciple » de Marie Kondo, engageant à un grand nettoyage plus ou moins teinté de spiritualité feel good ?

Pas vraiment. Il s’agit plutôt ici de redéfinir notre rapport à l’objet, et de prendre conscience de l’épuisante pollution visuelle et mentale que l’accumulation entraîne, même chez les plus ordonnées d’entre nous … Comment y parvenir en quelques étapes-clés ?

Admettre que notre cerveau nous joue des tours.

Programmé depuis des millénaires en mode « coup dur », notre cerveau continue à nous ordonner d’accumuler … dans un monde où -du moins en Occident -il n’est plus nécessaire de stocker frénétiquement pour survivre. Ce paradoxe nous rend malheureux. Nous avons tout (et plus qu’il n’en faut), mais ce n’est jamais assez pour nos méninges qui ne peuvent concevoir l’idée d’être « à l’abri du besoin ». On peut ne pas leur en vouloir, mais le savoir éclaire utilement nos compulsions …

Reprogrammer notre logiciel plaisir.

Cerise sur le gâteau de la conso, nous fonctionnons au « plaisir » d’acquérir … Un réveil de dopamine qui nous donne envie de recommencer très vite, autre survivance de notre logique d’accumulation primitive ! Il est plus productif d’essayer de canaliser cette pulsion que de chercher à la combattre farouchement. Loin de prôner un mode de vie décroissant punitif, l’écologie d’intérieur tend à l’« essentialisme». Un rapport aux objets qui ne vise pas à éradiquer la joie de posséder, mais pousse à se concentrer sur l’«essentiel» …

La notion a le mérite d’être nuancée, personnalisable en somme. Ainsi reformaté, ce nouveau plaisir ne sera plus celui, fugace, de l’achat. Il naîtra de la conviction profonde que tout ce que nous avons choisi pour nous entourer est beau, utile, durable, selon des critères établis par nous et nous seules.

Accepter que cette écologie-là sont d’abord égoïste.

Pour lutter contre la pollution, il faut commencer par balayer devant sa porte … On ne vit pas entourée de déchets toxiques ? Bien. Mais le trop-plein de nos possessions entraîne une vraie pollution visuelle (intérieurs vampirisant où le regard est sans cesse sollicité) et une très plombante pollution mentale (culpabilité de ne pas se servir de tout ce qu’on amoncelle). Sans parler du gâchis de ressources personnelles qui en découle !

Le « process » de l’écologie d’intérieur n’est rien moins qu’une transition écologique intime. Elle ne donne de leçons à personne, mais mène à un comportement global plus respectueux de la planète.

Comprendre que ce trop-plein n’est pas que matériel.

L’immatériel nous enchaîne tout autant. Songeons à ces e-mails qui s’entassent, ces groupes WhatsApp obsolètes et ces centaines de photos non triées … Quant aux interactions familiales, amicales, sociales, même combat ! Le concept d’obligation, que nous évoquons souvent, est parlant : obligée ? Pourquoi ? Jusqu’à quel point ?

Sans oublier, bien sûr, les relations toxiques ou que ne justifie plus qu’un lointain passé commun de plus en plus étranger … En ces domaines-là aussi, trouver ses propres et « saines limites » est salvateur.

Visualiser ce qui en bloque l’accès.

Là, on entre dans le « dur » avec le passage au crible de ces possessions, tâches, liens qui nous plombent sans qu’on en ait conscience. On commence par les objets matériels que l’on amasse en « montagnes » par catégories (vêtements, vaisselle, produits de beauté, livres, outils …). Le choc est en général intense : quoi, tout ça ? On subodore souvent que l’on a trop. Mais, avec un peu de méthode, on le constate de visu ! Un moyen ultra -efficace de changer notre rapport à l’accumulation. On passera ensuite aux objets culturels ou affectifs (livres, CD, papiers, collections, photos, souvenirs …). Enfin, ce sera le tour des objets immatériels décrits plus haut. Évidemment, il ne s’agit pas d’ensevelir son foyer sous des tas ou de tout attaquer d’un coup. Chaque « montagne » suivra la suite du process avant que l’on passe à la suivante. Débuter par le plus encombrant est très encourageant : on voit tout de suite un résultat !

Essentialiser ses choix.

Il ne s’agit pas juste de ranger, mais de trier vraiment, en pleine conscience. Comment ne garder que la quantité de biens, d’informations, de relations qui sont suffisants pour nous, sans trop-plein ni renoncement ? Il y a bien sûr les critères rationnels, importants mais sujets à débat : Sans cette mandoline, je dis adieu à mon carpaccio de betteraves crues. Mais j’en fais combien par an, au fait ? L’écologie d’intérieur est plus radicale, elle conseille de prendre l’objet en main et de se demander : Est-ce que je ressens une forme d’évidence ou, au contraire, suis-je incertaine ? Traduisez : si l’on hésite, on se sépare du bien ou du lien (et du poids symbolique qu’il porte souvent). Évidemment, il faut un peu d’entraînement pour laisser ce flux instinctif nous parcourir …

Inventer son décor.

Le but est de scénographier les biens conservés pour installer le beau dans sa vie quotidienne. Penser mise en scène plutôt que rangement est tout de suite plus gratifiant. Cela passe par des compositions et des combinaisons (non figées, c’est ça qui est ludique, pensez à tous les ordonnancements possibles de vos paniers, vos kimonos, vos céramiques …), le transvasage de produits dans des contenants sobres et purs (versus les packagings surchargés d’infos et de couleurs qui fatiguent le mental), une vraie réflexion sur la circulation de la lumière chez soi… C’est aussi l’occasion de redécouvrir ses plus belles possessions, ainsi mises en exergue.

Figaro Madame, Valérie de Saint-Pierre, 30 octobre 2022