Skip links

Que mangerons-nous dans 25 ans ?

Entre fantasmes et révolutions, le point sur l’alimentation de demain.

Notre alimentation va profondément changer. On le sait, nous devrions accueillir d’ici moins de trente ans deux milliards d’êtres humains de plus sur terre. Des bouches supplémentaires à nourrir sur une planète qui se réchauffe, où redoux suivis de gelées mettent les cultures en péril, où les sols ont été épuisés par les traitements chimiques et où l’eau pourrait manquer.

Frédéric Wallet, économiste, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (lnrae), nous éclaire sur les quatre scénarios qui nous attendent au frigo.

 

MENU 1 : DES LASAGNES AUX FAUX FROMAGES

Alors quoi ? Continuer sur notre lancée, avec de plus en plus de produits ultra-transformés (80 % en grandes surfaces), pas chers, riches en sucres et pauvres en fibres et en minéraux ? « Depuis les années 1950, poursuit le chercheur, nous sommes passés du paysan en polyculture, qui travaille à la main, au mode industriel : tracteurs gigantesques, profusion de produits chimiques… Aujourd’hui, en France, la Bretagne élève des cochons, la Beauce fait du blé, la Picardie des betteraves sucrières, le Rhône du vin et le pourtour méditerranéen du maraîchage. » Cela va plus loin : la Pologne produit des pommes, l’Espagne des oranges sous des mers de serres qui la désertifient, la Chine des sauces tomate … Le tout se retrouve dans la composition des produits transformés, qui ont fait doubler le taux d’obésité de la population française, passé en vingt-cinq ans à 17 %. « Cela a eu un immense succès, assure Frédéric Wallet, la nourriture est accessible partout, tout le temps, mais les coûts environnementaux sont énormes : en moyenne, un produit parcourt 3 350 kilomètres avant d’arriver dans notre assiette ! Un tiers du trafic routier en France est dû à notre alimentation, ainsi que le quart de nos émissions de CO2. Les maladies cardiovasculaires et certains cancers ont explosé. (…) Alors, encore plus de « mal­bouffe » ? « C’est hélas une possibilité, se désole Frédéric Wallet, avec des conséquences dramatiques pour la biodiversité, pour nos sols, pour notre santé.

 

MENU 2 : RIEN

Le mot avait disparu. Et voilà qu’avec le Covid, il est revenu : « pénurie ». De masques, de tests, de composants électroniques, de bois … Et de blé. A cause des pluies en Europe et de la sécheresse au Canada, le syndicat des fabricants de pâtes alimentaires a demandé un plan d’urgence au gouvernement face à un stock « historiquement faible » et à une hausse des prix de 30 %. « Les traitements chimiques ont appauvri les sols, et les rendements baissent, assure Frédéric Wallet. De plus, nous allons manquer, à l’horizon 2040, de phosphore, l’un des composants majeurs favorisant la pousse des plantes. Enfin, nous allons manquer d’agriculteurs. Ils ne représentent plus que 1,5 % de la population active en 2019 et 50 % d’entre eux vont bientôt partir à la retraite. »

Allons-nous avoir faim ? « La France aura toujours de quoi acheter à l’étranger, nous rassure Frédéric Wallet. Mais l’inflation alimentaire est en marche et va durer. A l’échelle mondiale, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) constate une hausse moyenne de 40 % du prix des denrées alimentaires depuis le Covid. » Près de huit millions de Français souffrent déjà de précarité alimentaire.

 

MENU 3 : DES LEGUMES DE SAISON

« On doit revenir aux saisons ! continue Frédéric Wallet. Prendre conscience de l’impact de notre alimentation sur la planète ! Il faut se rapprocher des agriculteurs, pour casser ce système où six centrales d’achat (Carrefour, Inter­marché, Leclerc … ) contrôlent 92 % du marché et des prix. La filière doit être raccourcie, les paysans mieux rémunérés. Nous devons aussi manger moins de viande, car, pour l’essentiel, elle est élevée dans des conditions indignes, nourrie avec des céréales qui contribuent à déforester l’Amazonie, et elle occupe 40 % de nos terres. Végétalisons nos assiettes ! » Et retrouvons la diversité : en un siècle, l’industrialisation de l’agriculture a causé la disparition de 75 % de nos fruits et légumes, et, selon l’ONU, aujourd’hui notre alimentation repose sur seulement 12 plantes et 5 espèces animales. Plus qu’un type de melon au lieu des 73 variétés d’autrefois. Comme quoi, dans ce menu local, il y aura plein de nouveautés !

 

MENU 4 : DES CRIQUETS D’ÉLEVAGE

Pour nous nourrir, certains misent sur les fermes verticales high-tech en ville, où les cultures, sous des LED, ne dépendent pas du soleil et donc des saisons. Des ordinateurs feraient pousser en permanence salades et tomates, qu’on dégusterait ensuite avec de la viande de synthèse, produite « in vitro » en laboratoire, ou avec des insectes, dont le taux de protéines, 75 %, dépasse toutes les espérances. « Je n’y crois pas » assure Frédéric Wallet. « Les fermes verticales comme la viande de synthèse demandent énormément d’énergie : le bâtiment, les LED, les ordinateurs… tout cela dégagera aussi beaucoup de chaleur et on aura besoin de climatiseurs. De plus, le coût des surfaces en ville est immense : pour équiper 5 000 mètres carrés de serres, une start-up a déboursé 8 millions d’euros ! En revanche, je crois beaucoup aux insectes. Surtout pour nourrir les animaux d’élevage. L’avenir est aussi aux algues (un nutriment très complet et qui consomme du CO2 !), et aux produits fermentés à base de soja. »

Elle Magazine, Florence Besson, 27 janvier 2022