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Une étude passionnante sur l’évolution de nos logements

Nos logements évoluent, et, avec eux, nos mœurs et nos humeurs. On ne vit pas, on n’aime pas de la même façon sous un plafond de 3,50m et dans un 3 pièces bas du front.

I. Petit tour de nos logements avant l’analyse sociologique et anthropologique :

L’entrée

Sas de « décontamination » entre le dehors et le dedans, on sait toute l’importance que revêtait le seuil dans l’Antiquité. C’est là que l’étranger devait déposer sa lance pour signifier ses intentions pacifiques, avant de se prêter à des lois de l’hospitalité fortement ritualisées. C’est là aussi qu’on ôte encore ses chaussures crottées dans quantité de pays.

Jadis…

Selon le standing des lieux, elle allait du petit mètre carré à la spacieuse « galerie » parsemée d’indices économiques et culturels (tableaux de maître, commode Louis XV chez les bourges, portemanteau croulant sous les vêtements, chapeaux, parapluies chez les prolos).

Aujourd’hui…

Avec la diminution des surfaces, elle tend à être sacrifiée par les promoteurs et les architectes d’intérieur, qui vantent l’« espace » et le « décloisonnement ». On pénêtre directement dans le séjour, qui fait office de pièce d’accueil. Il n’est pas rare que l’invité trébuche sur une basket ou une girafe en caoutchouc qui fait pouik, accueilli par un joyeux désordre où l’intime s’exhibe avec complaisance.

La cuisine

Apparue à la fin du XIX° avec la généralisation de l’eau courante, du gaz et de l’électricité, la cuisine fut conçue telle que nous la connaissons (une pièce séparée pour préparer et prendre les repas).

Jadis…

Située à l’extrémité d’un long couloir dans les appartements bourgeois, elle tient à distance la domesticité, qui emprunte escalier et porte de service. Dans les classes moyennes, au contraire, c’est le cœur affectif de la maison, assez vaste, pour y manger au quotidien. Les enfants font les devoirs sur un coin de table en formica dans les effluves appétissants de la popote préparée par maman. C’est aussi un lieu de « contre-soirées », de confidences ou de règlements de comptes, plus intime que la salle à manger.

Aujourd’hui…

Dans les étroites kitchenettes laboratoires, plus question de diner en famille, à peine peut-on préparer une blanquette digne de ce nom sans saloper les murs. Depuis les années 1990 et le carton de la série Friends, la cuisine « américaine » a investi le salon. On picore, perché sur un tabouret, on prépare des « drinks » sur le comptoir, tandis que ronronnent les chaînes d’info ou de divertissement, qui réduisent les échanges familiaux.

La salle à manger

Par métonymie, cette pièce où l’on prenait les repas est devenue le nom du mobilier qui la compose : table, chaises, buffet, vaisselier et desserte. Courante au XIXème siècle dans les milieux aisés, avec l’usage du service à la russe (des plats présentés un à un et individuellement), elle est plutôt exiguë et tristounette dans la petite bourgeoisie.

Jadis…

Qui ne se souvient pas de repas arrosés, joyeux ou tendus, dans cette pièce qui, hors occasion, était interdite aux enfants ? Noël, Pâques, anniversaires, déjeuners dominicaux avec pépé-mémé: on sort la vaisselle des grands jours et on fait ripaille avant de passer au salon (pour le café). Le reste du temps, cette pièce froide, inanimée, accueille le repassage ou les travaux de couture. Ou fait office de « bureau » où s’acquitter des tâches administratives au calme, loin des enfants. Déclaration d’impôts, comptabilité, correspondance…

Aujourd’hui…

Désacralisée, elle a plus ou moins disparue des nouveaux plans, absorbée par le salon-pièce à vivre, ou recyclée en chambre.

Le salon

Cette pièce de réception a une double fonction : accueillir les étrangers, et être en adéquation avec l’idée que la maison est un lieu de repli et de sécurité, où l’on est « chez soi » et où l’on peut faire ce que l’on veut.

Jadis…

Lieu d’apparat (tentures, piano à queue, fauteuils crapauds) dans les classes favorisées, c’est le réceptacle privilégié de l’intimité dans la société du désir et du confort. L’espace du relâchement (canapés mous, table basse où on pose les pieds), mais aussi du regroupement familial devant la télé, véritable âtre du foyer.

Aujourd’hui…

Absorbant cuisine, salle à manger, parfois chambre des parents (canapé-lit), cette pièce à vivre informelle tend à perdre sa fonction de pôle d’attraction de la famille, laquelle se disperse dans les chambres, encouragée par la multiplication des écrans. Dans les maisons individuelles, un way of life à l’américaine l’associe à un bien-être m’as-tu-vu, avec terrasse, jardin et piscine.

Les chambres

Comme pièce privée, la chambre n’apparaît qu’à la fin du XVII° siècle. Auparavant, dans le monde rural, la famille dormait dans une seule pièce (voire dans le même lit). Les parents ont monté une première cloison pour assurer leur intimité. Puis sont apparues les chambres des enfants. Les rois, et les bourgeois qui les imitent, reçoivent dans leur chambre au XVI° siècle.

Jadis…

Si modeste soit-il, le mobilier qui la compose était généralement assorti : lit, tables de chevet, commode, armoire, valet, bonnetière… Les enfants ne sont pas autorisés à pénétrer dans la chambre parentale, qui ne sert qu’à dormir ou à faire la sieste.

Aujourd’hui…

Chaque membre de la famille revendique sa pièce « do not disturb », où il exprime sa créativité délirante et où, nouvelles technologies aidant, il s’enferme dans sa bulle, avachi sur son lit, le dos courbé sur son smartphone (plus de deux heures en moyenne en 2022, et quatre heures pour les jeunes). Chambre d’enfant caverne d’Ali Baba, pleine de jouets, chambre d’ado-camp retranché, s’apparentant à un ministudio, où recevoir les amis, enfin l’incontournable « suite parentale » combinant dressing et salle de bains. Bref, « file dans ta chambre ! » n’a plus rien d’une menace !

II. Analyse sociologique et anthropologique :

Si l’habitat évolue peu à la campagne, il n’a cessé, en ville, de s’adapter à l’extension de la fourmilière humaine avec d’heureuses (hygiène, eau, gaz, électricité) et de moins heureuses transformations : les joies du vivre ensemble ne sont pas toujours au rendez-vous, en particulier depuis une vingtaine d’années

  • baisse du pouvoir d’achat,
  • prix de l’ancien qui flambe (multiplié par 3 en vingt ans à Paris, + 250% à Bordeaux…),
  • souci de rentabilité des logements neufs…

On vit moins agréablement dans les grandes cités et, surtout, on vit de plus en plus à l’étroit.

En analysant les bases de permis de construire entre 2000 et 2020 en Ile-de-France, l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (idheal) a observé que les surfaces moyennes des logements collectifs neufs ont été réduites de 70 m2 à 57,73 m2.

Les séjours, notamment, sont passés de 21,49 m2, pour la période 2003-2012, à 18,70 m2 pour les plans de la période 2013-2023. Tendance renforcée en grande couronne. Peu de chances que les choses s’inversent : l’Insee relève qu’entre janvier 2021 et juin 2022 les ménages ont perdu 720 € sur un an !

Le sentiment d’étouffement est accentué par la baisse de hauteur sous plafond (2,5 m en moyenne dans le neuf, quand il n’était pas rare de jouir d’un bon 3,20 m dans un immeuble construit en 1930). Or, en soixante ans, les Français ont grandi de 7 cm ! Le pire est à venir, puisqu’un projet de décret propose de réduire la hauteur sous plafond légale à 1,80 m, contre 2,20 m actuellement. Ajoutons à cette castagne domestique organisée les nuisances sonores, les borborygmes du voisin, le tintamarre de la rue…

Pour des raisons économiques (coût de la construction et coût énergétique), les nouveaux logements ont des fenêtres plus petites et des plans « compacts » qui font perdre en luminosité. Or cette dernière a un effet bénéfique sur la qualité de vie, le confort visuel et la santé. Pas étonnant que le balcon ou le jardin soient devenus le nouveau Graal des acquéreurs.

Les conséquences anthropologiques de la diminution des surfaces sont infinies :

  • de la baisse de la fécondité (4 familles sur 10 en appartement ne disposent pas d’une chambre par enfant)
  • à l’augmentation des divorces,
  • en passant par les syndromes dépressifs (ils ont explosé chez les jeunes avec les confinements),
  • les violences conjugales (+ 21 % entre 2020 et 2021),
  • voire l’alcoolisme croissant des femmes salariées, qui préfèrent la convivialité bien arrosée d’un afterwork entre copines au triste retour dans un bercail conflictuel : 12 % des femmes cadres ont un usage à risque de l’alcool, chiffre plus élevé que chez les ouvrières et les artisanes !

Marianne, Julie De Los Rio, 15  mars 2023