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L’or blanc, c’est fini

Avec ou sans enneigement artificiel, le nombre de journées skiables diminue, l’économie des sports d’hiver se resserre et s’apprête à disparaître dans de nombreux massifs.

Alors que les scientifiques prévoient une hausse des températures, en montagne, qui pourrait atteindre jusqu’à 5 °C d’ici à la fin du siècle, les stations du Massif central et des Vosges fermeront dans les dix ans, la grande majorité de celles des Pyrénées et des Alpes du Sud dans vingt tout au plus soit quelque 80 % des domaines skiables français.

L’or blanc, c’est fini. Il faut le dire, clairement. Et se garder des fausses pistes presque partout privilégiées pour préparer l’avenir. On peut notamment se demander jusqu’où il est souhaitable de miser sur la montagne dite « quatre saisons », où l’on multiplie les aménagements destinés à attirer une clientèle estivale.

Cette stratégie de diversification se déploie en effet au prix d’une course à l’équipement erratique, coûteuse, qui a tout de la fuite en avant. Soit que l’on dépense des fortunes pour, en fait, maintenir à bout de bras l’activité ski. Soit que l’on transforme le milieu montagnard en parc à thème, au mépris d’un environnement rendu fragile par le changement climatique.

Sauvegarde de l’économie montagnarde

Est ainsi présenté comme « quatre saisons » le creusement, pour alimenter les canons à neige, de retenues d’eau collinaires. Comme au Cambre d’Aze (Pyrénées-Orientales), où l’on pourra toujours y installer deux ou trois pédalos aux beaux jours.

Comme sur le plateau de Beauregard (Haute-Savoie), où l’argument est de « sécuriser » l’approvisionnement en eau potable de la vallée durant l’été. Le financement de nouveaux télésièges permettant d’embarquer des VTT lors de la saison estivale procède de la même logique. Tout comme l’investissement dans des centres aqualudiques, circuits de luge sur rail, tyroliennes géantes et autres ponts « himalayens » enjambant des vallées entières… Venez faire un tour de manège dans un beau paysage.

Sortons du déni. Qu’aux stations de ski se substitue une offre de loisir équivalente de clientèle est illusoire. Ni le VTT, ni la randonnée, ni aucune autre activité alternative ne généreront des retombées financières comparables à celles du ski. Voici venue la fin d’un modèle économique fondé sur le consumérisme touristique, la marchandisation des espaces naturels et une situation de rente immobilière jamais remise en cause.

L’enjeu, et l’urgence, c’est désormais de sortir de ce modèle volontairement. Avant que sa chute n’entraîne tout sur son passage. Et n’amène la montagne à subir un impact similaire à ce que fut la crise de l’aluminium il y a quarante ans, la fin du thermalisme il y a soixante-dix ans et l’exode agricole à la fin du XIXe siècle :

  • déprise humaine,
  • friches urbaines,
  • villages abandonnés,
  • fermeture des écoles, des services publics et d’une partie des services privés.

Maintien d’un écosystème touristique

La fin du ski va freiner la spéculation immobilière empêchant aujourd’hui les habitants du cru de se loger. Elle va signifier la fin d’infrastructures dont le coût monopolise les budgets et endette les territoires.

Ensuite, il restera toujours la filière du bois et de la forêt, à valoriser fortement, et l’agriculture. On peut aussi imaginer que subsisteront des microstations dotées d’un ou deux téléskis, de trois ou quatre pistes (et pourquoi pas de quelques enneigeurs) ne nécessitant qu’une poignée de salariés, lorsque les conditions le permettent, pour ouvrir du jour au lendemain. On y apprendra le ski avant de se mettre (ou pas) au ski de fond ou de randonnée. Les sports de pleine nature, par ailleurs, devraient permettre le maintien d’un écosystème touristique peu invasif et de qualité dans de nombreuses vallées.

Quant aux employés privés de travail saisonnier, déjà nombreux à s’être réorientés du fait de la malheureuse réforme de l’assurance chômage en témoignent les difficultés de recrutement ces deux derniers hivers, l’accès à des parcours de reconversion professionnelle devra naturellement leur être garanti.

Enfin, si l’on souhaite vraiment voir les touristes venir à la montagne en toutes saisons, on pourrait reparler semaine de quatre jours et sixième semaine de congés payés. Difficile de lâcher un modèle sans connaître celui qui le remplacera. Il en va ainsi des choix que nous devrons faire dans de nombreux domaines à cause de la crise écologique.

Le Monde, David Berrué, 13 février 2023