Skip links

Les séjours microaventures en plein essor !

Ce nouveau format de vacances « express », entre quête d’expériences et de redécouvertes de la France, attire de plus en plus de jeunes urbains. De nombreuses agences se positionnent sur ce créneau.

En maillot de bain sur la terrasse gelée du chalet savoyard, Patricia Bourgain n’en mène pas large. « Non mais qu’est-ce que je fais là ? », dit en rigolant cette Parisienne de 40 ans, consultante en responsabilité environnementale, qui enjambe un bassin où flottent des morceaux de glace. Cette expérience façon Wim Hof, ce Hollandais devenu mondialement célèbre pour sa méthode d’adaptation à l’eau froide, c’est l’un des temps forts de ce         week-end de février de « renforcement physique et mental par le froid » qu’elle a réservé par l’intermédiaire d’une agence spécialisée en « micro-aventures », Explora Project.

Sous l’œil de la coach, qui lui distille, chronomètre en main, des conseils de respiration, Patricia tiendra quatre minutes dans l’eau à zéro degré. Elle sort tremblante, les extrémités douloureuses, mais galvanisée par ce shoot d’adrénaline, censé apporter de multiples bénéfices. Prochaine étape : la randonnée en raquettes, sur les hauteurs de                                    La Roche-sur-Foron (Haute-Savoie).

Se dépasser, se mettre au grand air, faire des rencontres… Voilà les ingrédients de ces séjours express de deux à quatre jours, organisés en petits groupes (entre dix et quinze personnes en moyenne), sur lesquels se positionnent de plus en plus d’agences de voyages. Et ce, qu’elles soient petites et nouvelles (Explora, Chilowé) ou bien installées (Terres d’aventure, UCPA, Decathlon Travel…). Un nouveau format qui entre dans cette quête d’expériences et de redécouverte de la France, observée par tous les acteurs du secteur.

L’arme de séduction de ces séjours courts est d’emballer ces week-ends, par une bonne dose de marketing, autour d’un objectif : dormir dans un igloo, conduire un traîneau à chiens, faire de l’escalade sur glace, s’initier au ski de randonnée, construire une cabane dans les bois, partir « sur les traces du loup dans le Vercors » ou en « immersion sauvage pour le brame du cerf »… L’aventure peut aussi prendre d’autres formes, moins sportives : week-end en immersion chez un coutelier en Ardèche, dans une fabrique de fromage dans le Jura…

« Besoin de réenchanter le quotidien »

A l’origine, le terme de « micro-aventures » a été popularisé par l’explorateur anglais Alastair Humphreys dans un livre paru en 2014, dans lequel il invitait tout un chacun à partir en expédition à côté de chez soi, et à renouveler ainsi l’imaginaire du voyage. « Cela part d’un besoin de réenchanter le quotidien, de créer des expériences tournées vers l’apprentissage, de vivre l’extraordinaire dans les interstices d’une vie quotidienne ordinaire », analyse Dominique Kreziak, enseignante-chercheuse à l’université Savoie Mont Blanc, qui a fait de ce concept son thème d’étude.

« Il y a aussi, dans ce nouveau mode de tourisme, une forte dimension distinctive, poursuit-elle. Chacun constitue ainsi son catalogue d’expériences. J’ai dormi dans un bivouac dans la neige, j’ai fait ci, j’ai fait ça. » Pour l’UCPA, qui a lancé en 2021 une vingtaine de séjours micro-aventures, les confinements ont été le « déclic », explique Laurence Weissenburger, la responsable marketing : « Dans ce monde de plus en plus anxiogène, on a identifié de nouvelles attentes chez nos clients : le lien social, la déconnexion, l’envie de casser la routine, même sur un temps très court. »

La plupart de ces week-ends se déroulent à proximité de grandes villes. « Avant, les gens intéressés par les séjours d’aventure préféraient économiser pour aller au Népal, en Turquie, aux Canaries… Aujourd’hui, cette même cible veut voyager bas carbone, et estime très dépaysant d’aller dans les Cévennes ou le Vercors », commente Ferdinand Martinet, 36 ans, fondateur de Chilowé. En 2022, sa jeune société, qui a bouclé une levée de fonds de 2 millions d’euros, et a fait partir 3 000 personnes.

Le cœur de cible de ces agences, ce sont les jeunes cadres urbains, âgés de 25 à 45 ans. Lors du séjour de « renforcement par le froid » d’Explora, on pouvait ainsi croiser un contrôleur aérien, deux jeunes diplômés en data science, un cadre d’un fonds d’investissement immobilier… Il fallait en effet avoir les moyens de débourser 530 euros (hors transports) pour ces trois jours dans un chalet isolé, avec nuit en dortoir, grandes tablées et douche à partager. Une belle machine à créer des souvenirs et faire des rencontres, « mais c’est clair que ça ne convient pas à tout le monde », reconnaît Morgane Verley, 32 ans, contrôleuse de gestion dans un cabinet d’audit.

Séances immortalisées sur les réseaux

« Sur une semaine, je ne l’aurais pas forcément fait, mais sur un week-end, c’est le bon format », poursuit cette Bordelaise. Comme elle, presque tous les participants sont venus seuls. Commerciale dans une start-up spécialisée dans les bilans carbone, Alexandra Morin, 33 ans, s’est offert ce séjour en solo parce qu’elle grelottait dans son bureau parisien, qu’elle avait envie d’être « plus résistante », de « tester son corps ». Elle voulait aussi s’accorder un          week-end pour elle, alors que son compagnon était allé précédemment à un enterrement de vie de garçon.

Sous un soleil éclatant, les séances dans l’eau glacée sont immortalisées par des photos ou vidéos, partagées à foison sur des groupes WhatsApp ou sur Instagram : la création de souvenirs fait partie du « pack ». « Nos clients sont souvent sur Instagram. Ce réseau social fait partie de notre écosystème », affirme Stanislas Gruau, le patron trentenaire d’Explora, qui a créé cette entreprise en 2019. Ancien trader, diplômé de l’Edhec, il maîtrise parfaitement les codes de communication adaptés à sa cible, mettant en scène, sur le réseau social LinkedIn ou dans l’émission « Qui veut être mon associé ? » (diffusée sur M6), le récit de son aventure entrepreneuriale. En 2022, sa société, qui emploie trente personnes à Annecy, a levé 4 millions d’euros.

« Ces séjours sont sans doute des succès commerciaux, mais baser un modèle d’affaire uniquement là-dessus, c’est difficile. Le panier moyen par client n’est pas assez élevé », juge Jean-François Rial, PDG du groupe Voyageurs du monde. Un avis partagé par Jean-Pierre Nadir, entrepreneur qui investit dans diverses start-up du tourisme. Il pointe d’autres faiblesses, en particulier l’ultra-dépendance à la météo : un mauvais temps peut faire capoter un séjour à la dernière minute. Il arrive aussi que ces week-ends, organisés en petits groupes, soient annulés si un quota de participants n’a pas été atteint… Un vrai jeu d’équilibriste, car ces séjours sont souvent réservés au dernier moment. Des clients se retrouvent ainsi le bec dans l’eau, avec un bon d’achat pour reprogrammer leur séjour.

Bain dans un bassin d’eau glacée au Chalet de la Balme (Haute-Savoie).

Le Monde, Jessica Gourdon, 16 avril 2023.