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Les Japonaises sont les pires antiféministes !

Le Japon est bien connu pour sa fidélité aux traditions, mais on n’imaginait pas les femmes au pouvoir complices d’une politique sexiste. Parité, contraception, harcèlement … Elles verrouillent le système.

Ce 25 janvier, devant le tribunal de Tokyo, Shiori Ito a la victoire modeste face aux caméras. Elle vient de gagner en appel contre le célèbre journaliste qu’elle accuse de viol. Depuis cinq ans, elle se bat bec et ongles, à visage découvert dans cette société où la victime, qui endosse la honte plus souvent que le coupable, demeure d’ordinaire anonyme. Si une Japonaise incarne MeToo, c’est elle. Mais contrairement à ses camarades du monde entier, ses pires ennemis sont… les femmes de pouvoir. Aucune de ces dernières ne la soutient ouvertement. Une députée de la majorité, Moi Sugita, la raille devant les caméras. « Pour une promotion canapé, c’est raté … » Et d’enterrer MeToo : « Les femmes ont le don de mentir à volonté ». Une exception, Mio Sugita ? Plutôt une représentante virulente du scepticisme général des femmes de pouvoir face au combat pour l’égalité des sexes au Japon. Voire de leur hostilité.

Même les questions de santé publique semblent les rebuter. « Dans la classe politique, ce sont les femmes qui s’opposent le plus fermement à la pilule abortive, à la vaccination HPV contre le cancer de l’utérus, à l’éducation sexuelle à l’école … », se lamente un ponte étranger de l’industrie pharmaceutique à Tokyo. Au mieux, les femmes puissantes demeurent-elles silencieuses sur ces acquis de longue date des autres sociétés développées. La maire de Tokyo, Yuriko Koike, n’en parle jamais, par exemple. Les féministes ont encore de l’avenir au Japon. La condition des femmes y est de très, très loin, la pire du G7, comme le montre leur rang dans le classement Gender Gap du Forum économique mondial : 120ème sur 156 !

MeToo n’a pas pris ici…

Le féminisme eut pourtant son ère d’espérance au Japon. Faute de société civile, les réformes sont des initiatives de l’État ; elles ne viennent jamais d’un mouvement populaire qui trouverait un débouché politique. Mari Miura, de l’Université Sophia à Tokyo, résume : « Un mouvement comme MeToo n’a pas pris ici. Le Japon a bien ses leaders « féministes », mais elles sont dans l’administration. » Elle les surnomme ainsi : les « femmocrates », formé de « femme » et « bureaucrate ».

Les reines du foyer

Culturellement, les Japonaises exercent un pouvoir absolu … mais dans la limite de leur foyer, pour soutenir mari et enfants. « La mesure féministe la plus mise en avant sous Abe a été le Toilet Day, où les femmes montraient que la vie heureuse commence par des W.C. propres », explique Tomomi Yamaguchi. Dans leur jeunesse, elles sont formatées ainsi par leur mère, à l’école, l’université … et jusque dans la famille impériale, où, interdites d’accès au trône, elles sont toujours en retrait. « Jusque dans les années 1990, les écoles faisaient l’appel des élèves en débutant par les noms de garçons. Les conservateurs étaient vent debout contre l’appel par ordre alphabétique, ils pensaient que cela créerait confusion et promiscuité entre les sexes », raconte Tomomi Yamaguchi. Ce rapport de force entre genres est même gravé dans la langue : le mot de belle-fille, yomei, est formé des caractères « femme » et « maison » ; celui d’épouse, kanaii, de « maison » et « intérieur ». « Il faut bien comprendre que jamais une Japonaise, du berceau à la mort, n’est en contact avec des idées féministes. Elles n’ont pas de mots », dit Mari Miura. Une des manifestations les plus fortes de cette « patri dominance » est l’obligation pour la candidate au mariage d’abandonner son nom de jeune fille, règle source de démarches sans fin marquant la situation inférieure de la femme envers son mari face à la société.

Pas d’éducation sexuelle 

Une caste de femmes a bien émergé dans les rangs de la majorité. Toutefois, leur succès vient non pas d’avoir embrassé la cause des femmes mais pour l’avoir reniée. « Le PLD est tellement patriarcal que les femmes, pour y survivre, doivent épouser le point de vue des hommes », explique Mari Miura. Ces « malheureuses élues » sont souvent placées en « boucliers humains » contre les tentatives de percée féministe.

Figure du PLD, Eriko Y amatani a ainsi gagné son bâton de maréchale de la majorité en bataillant contre la fondamentale loi de 1999. En 2004, elle explique devant la Chambre haute : « Nous mettons en péril ce legs divin qu’est la maternité si nous estimons que travail et reconnaissance sociale sont plus importants que l’amour et le dévouement aux autres, ou si nous pratiquons l’avortement. Aucun travail, aucun rêve, aucune richesse, aucune liberté ne peut remplacer l’amour. Quiconque détruit la maternité détruit le don le plus précieux de Dieu aux femmes, la capacité d’aimer quelqu’un en tant que femme », prêche-t-elle. Elle est une des principales opposantes à l’éducation sexuelle à l’école, qu’elle considère comme une invitation à la promiscuité. La femme politique la plus puissante de la majorité, TakaichiSanae, est contre l’usage du nom de jeune fille après le mariage alors qu’elle vit sous … son nom de jeune fille ! « Mio Sugita a été repérée par Shinzô Abe le jour où elle s ‘est exprimée avec virulence contre le féminisme. Il l’a illico bombardée députée en l’inscrivant en bonne place sur une liste. Avant, elle n’était rien », note Tomomi Yamaguchi.

MADAME FIGARO, Régis Arnaud, 25 février 2022