Skip links

Les hommes s’y mettent… lentement !

Ils sont de plus en plus tentés de partager la charge contraceptive avec des méthodes mécaniques en attendant la pilule masculine.

Maximo Pastor, un kinésithérapeute de 26 ans, enroule un bout de chaussette grise autour d’un verre en plastique afin de fabriquer un anneau rembourré. Sur une table en bois recouverte de bobines de fils colorés et de canettes de bière, trois autres hommes dans la même tranche d’âge sont concentrés sur leur machine à coudre. Ils assemblent des bouts de bande élastique et des bretelles de soutien-gorge pour fabriquer un baudrier dans lequel ils insèrent leur anneau.

Deux degrés de réchauffement

La poche de soutien y a été remplacée par un anneau où faire entrer la verge et la peau des bourses. Cette manipulation fait mécaniquement remonter les testicules vers la zone du pubis, un contact avec le corps qui les fait passer de 35 à 37 °C. Deux petits degrés de réchauffement qui freinent radicalement la production de spermatozoïdes… au bout de trois mois et si le dispositif est porté 15 heures par jour, sept jours sur sept.

Installé dans le canapé de son salon, Erwan Taverne, cheveux en bataille et petites lunettes sur le nez, insiste sur la rigueur nécessaire.  « Si tu le portes 12 heures seulement une journée, tu considères que le mois suivant, tu n’es pas contracepté », assène le créateur de Garcon à un nouveau venu. Ce professeur de physique chimie rodé au militantisme dans les milieux écolos répète aussi la nécessité d’un spermogramme de contrôle tous les trois mois pour vérifier que le nombre de spermatozoïdes reste en dessous d’un million par millilitre d’éjaculat (contre plus de 15 millions sans contraception), un seuil en dessous duquel les chances de procréer sont aussi faibles qu’avec la pilule.

Partage de la charge contraceptive

D’autres participants évoquent eux leur désir de partager la charge contraceptive avec leur compagne. « Je suis pour l’égalité et ça passe aussi par ça. Ma copine a essayé plusieurs pilules, elle avait des syndromes prémenstruels de fou, et avec le stérilet, des règles qui duraient plus d’une semaine », raconte Sylvain, lui aussi kinésithérapeute de 26 ans. Ces deux moyens contraceptifs, adoptés par près de 60 % des femmes en France, ont longtemps été perçus comme émancipateurs. Ils sont désormais rejetés ou questionnés par une portion croissante de la gent féminine pour leurs effets secondaires et ce qu’ils reflètent de la répartition des rôles dans le couple.

Toujours pas de pilule masculine

Mais les options restent limitées. Malgré des articles promettant sa venue depuis quarante ans, aucune pilule pour hommes n’est aujourd’hui commercialisée. À la fin des années 1970, à l’hôpital Cochin à Paris, l’andrologue Jean-Claude Soufir a développé un traitement constitué d’un progestatif similaire à celui utilisé par certaines femmes et d’une lotion de testostérone à appliquer quotidiennement. Le principe consiste à tromper l’hypothalamus et l’hypophyse. Lorsqu’ils détectent la présence de progestérone et/ou de fortes doses de testostérone dans le sang, ils se mettent au repos au lieu de libérer les hormones stimulant la production de testostérone. La concentration du traitement étant beaucoup plus faible que la testostérone produite normalement par le testicule, la fabrication des spermatozoïdes est interrompue.

En France, le ministère des Droits des femmes et la direction du Planning familial n’ont pas été réceptifs :  « Le développement de la contraception masculine leur apparaissait comme une perte de pouvoir des femmes sur leur désir de procréation », raconte Jean-Claude Soufir. Quant aux laboratoires, ils n’ont pas voulu « investir dans une méthode qui va grignoter des parts de marché à la contraception féminine », met en avant Erwan Taverne.

Injection de testostérone

Une seule méthode hormonale, non reconnue par les autorités françaises, mais validée par un protocole de l’OMS depuis les années 1990, existe actuellement : une injection intramusculaire hebdomadaire d’énanthate de testostérone. Jean-Claude Soufir l’a prescrite à une cinquantaine d’hommes en 2021, vingt de plus que les années précédentes.

Au-delà des contre-indications, comme la présence de cancers de la prostate dans la famille, cette méthode peut cependant provoquer des effets indésirables.  « J’ai eu des troubles de l’humeur, j’étais plus agressif et irascible, et l’augmentation de ma libido pouvait être gênante et nous a éloignés avec ma copine », raconte Thomas, un ingénieur de 31 ans qui l’a testée pendant six mois. Ces désagréments n’affectent cependant que 2 % des hommes, d’après la synthèse de différentes études effectuée par Jessica Tcherdukian, médecin au Cecos-laboratoire de biologie de la reproduction du CHU de Marseille.

L’autre frein reste la nécessité de faire venir une infirmière chaque semaine pour cette injection délicate : une piqûre tous les deux mois, moins contraignante, a été développée en 2016 mais son étude a été arrêtée avant la fin. « Contrairement aux années 1960 avec la pilule féminine, il y a désormais des comités de surveillance externes aux porteurs des études chargés de suivre les effets secondaires. Or ceux que subissent les femmes depuis des décennies ne sont plus acceptables chez les hommes aujourd’hui », dénonce Jeanne Perrin.

Multiplication par cinq des vasectomies

En attendant, la loi française autorise depuis 2001 une autre méthode, qui connaît aussi un engouement croissant mais ne concerne qu’une fraction des hommes car elle est difficilement réversible : la vasectomie. Cette petite opération consiste à sectionner les canaux déférents pour que les spermatozoïdes ne puissent plus rejoindre le liquide spermatique. Elle n’a pas d’impact sur l’érection ou l’éjaculation, composée à plus de 95 % par les sécrétions des vésicules séminales et de la prostate.

L’homme de 40-50 ans qui a déjà des enfants et n’en souhaite plus reste le profil dominant, mais les médecins reçoivent de plus en plus de trentenaires qui ne veulent pas de progéniture, comme Thibault Prevost, qui a sauté le pas il y a quelques mois. Même s’il ressent depuis un élancement au moment de l’éjaculation, un effet secondaire rare, ce journaliste de 31 ans ne regrette pas l’opération. « Pour moi, c’est un élément de libération, un geste politique : je refuse la famille nucléaire, les structures sociales traditionnelles », raconte-t-il.

Les Échos, Anaïs Moutot, 07 janvier 2022