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L’entrée dans l’ère des smartphones sur roues !

Demain, la valeur d’un véhicule résidera davantage dans les services numériques que dans les sensations de conduite. La voiture de 2030 devra aussi évoluer grâce aux mises à jour effectuées à distance. 

Les calculateurs ont envahi les voitures. On peut en compter jusqu’à une centaine par véhicule. Et l’on ne sait plus où installer les boîtiers. Sous le capot, bien sûr, mais aussi à l’intérieur des portières ou du coffre et jusque dans le plafond. Pour les constructeurs, l’heure est à en limiter le nombre. Pas seulement pour gagner de l’espace et du poids, mais aussi parce que l’intégration de calculateurs moins nombreux et plus puissants est indispensable pour aborder une nouvelle ère. Celle qui va faire de l’automobile un smartphone sur roues, ce qui impose de simplifier son architecture logicielle.

L’avenir n’est pas seulement aux véhicules électriques. La voiture des années 2030 devra aussi évoluer en permanence, grâce aux mises à jour effectuées à distance. Pour modifier la puissance du moteur ou le réglage des suspensions, installer de nouvelles aides à la conduite, voire prévenir la survenue de pannes. Sans oublier la possibilité de souscrire une assurance, dont le montant sera directement lié au style de conduite, ou d’automatiser le paiement aux bornes de recharge. Autant d’interventions auxquelles il sera possible de procéder sans modifier les éléments physiques du véhicule.

Début mai, Renault a annoncé la mise au point, d’ici à 2026, d’une architecture dite SDV pour Software Defined Vehicle, autrement dit un véhicule conçu autour de son infrastructure informatique. « Nous ferons aussi bien que Tesla », promettent les responsables de ce projet. La firme américaine a été la première à se doter d’un superlogiciel permettant, entre autres, de visionner des séries sur Netflix ou de s’adonner à des jeux vidéo lorsque la voiture est immobilisée à une borne de recharge, mais aussi d’avancer à petits pas, grâce aux mises à jour faites à distance, vers une conduite toujours plus autonome.

Li Ying, responsable de l’expérience utilisateur est installée au volant d’un « Smart Cockpit » du centre de recherche et développement de Volkswagen, à Pékin, le 15 avril 2023.

Enjeu central de la valeur de revente

Au lieu de devoir gérer un contrôleur électronique pour chaque fonction − avec la difficulté de les faire dialoguer entre eux −, les futures Renault seront équipées de deux processeurs haute performance (l’un pour l’infodivertissement, l’autre pour le fonctionnement du véhicule) et de trois ou quatre calculateurs annexes.

« Nous allons pouvoir réduire les coûts et faire passer de deux ans à trois ou six mois le temps de développement des nouvelles applications », estime Thierry Cammal, qui dirige la Software Factory de la marque, forte de quelque 2 800 ingénieurs sur le projet SDV en France, Espagne, Roumanie, Inde, Corée du Sud et au Brésil. S’en remettre à une architecture centralisée présente aussi l’intérêt de pouvoir utiliser des puces électroniques de dernière génération, plus évoluées, qui équipent les smartphones et sont moins sensibles aux phénomènes de pénurie. En 2026, le premier véhicule chargé de tester l’infrastructure SDV sera un petit utilitaire.

La particularité de la démarche engagée par Renault est d’associer étroitement des partenaires venus, pour l’instant, d’horizons non automobiles, tels Google et son système d’exploitation Android, et Qualcomm, spécialisé dans la conception de processeurs. Le projet SDV doit contribuer à valoriser Ampère, la future entité 100 % électrique de Renault, dont Qualcomm pourrait devenir actionnaire. Il s’agit également de réduire de 1,5 milliard d’euros les dépenses de recherche-développement d’ici à 2030, grâce à la possibilité d’intégrer la même plate-forme logicielle sur différents véhicules sans avoir à procéder à de coûteuses opérations de reprogrammation.

Selon Renault, la possibilité d’enrichir en permanence les prestations de ses véhicules doit permettre d’améliorer leur valeur de revente, enjeu devenu central avec l’essor de la location longue durée. Elle pourrait aussi faire progresser la part d’acheteurs qui continueront de faire entretenir leur véhicule dans le réseau après échéance de la garantie. Les constructeurs entrevoient déjà de proposer des services payants.

Tesla facture, par exemple, 3 800 euros une option pouvant être activée automatiquement, qui permet au Model 3 d’effectuer sur voie rapide un dépassement sans intervention du conducteur, ou de se garer toute seule. Un outil à double tranchant : à San Francisco, un groupe de propriétaires de Model S et Model X viennent de lancer un recours collectif contre le constructeur auquel ils reprochent d’avoir programmé une mise à jour ayant eu pour effet de réduire de 20 % l’autonomie de leur voiture.

« Dans l’automobile, il n’existe pas de plate-forme standard. Le constructeur qui sera capable de réunir la plus large communauté de développeurs autour de sa propre solution aura gagné la partie, mais c’est un pari très ambitieux », souligne Eric Kirstetter, associé au sein du cabinet Roland Berger. En inscrivant son projet dans un environnement « open source », Renault voudrait faire de son architecture logicielle une référence auprès d’autres marques tentées de disposer d’une infrastructure informatique éprouvée, sans avoir à investir dans un développement au long cours pour aboutir à un résultat comparable.

Les équipementiers ont beaucoup à perdre

En parallèle, l’industrie automobile cherche aussi à créer des ponts entre les marques, par le biais de la Fondation Eclipse, qui s’efforce de faciliter l’interopérabilité des logiciels et a été rejointe en avril par General Motors. Avec cette nouvelle donne, les équipementiers ont beaucoup à perdre. Ils vont avoir moins de calculateurs à fournir et de logiciels à écrire pour les constructeurs.

« Chacun doit pouvoir obtenir sa part du gâteau sur le partage des données et en développant de nouveaux équipements », plaide Olivier Barrée, chargé du développement des produits et services intelligents chez ZF. La firme allemande a mis au point des capteurs capables de signaler urbi et orbi les places de stationnement disponibles ou la présence de nids-de-poule. Elle compte, d’ici à 2030, porter de 40 % à 70 % la part de ses 26 000 ingénieurs chargés de développer des logiciels à destination des futurs véhicules.

Les marques chinoises, parties d’une page blanche pour concevoir leurs véhicules électriques, investissent elles aussi dans des architectures logicielles centralisées. « Les groupes Geely et SAIC apparaissent les plus en pointe dans ce domaine. Tous sont convaincus que demain, la valeur d’un véhicule, comme sa capacité de différenciation, résidera davantage dans les services numériques que dans les sensations de conduite », assure M. Kirstetter. 

Le Monde, Jean-Michel Normand, 18 mai 2023