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Le vrai du faux à découvrir

Il est beau, il est vert, il est durable, il a peu d’impact sur le climat, il crée du lien social. Nous voudrions tous y vivre. Tel est l’écoquartier, au moins sur catalogue. Dans la réalité, c’est un peu plus nuancé …

« Lotissement » : mot français masculin tombé en désuétude au début du XXIe siècle, désormais remplacé par « écoquartier ». Inflexion sémantique riche de promesses, tant il est vrai que le lotissement est le domaine du Mal : étalement urbain, voitures, grignotage des terres agricoles, médiocrité architecturale, alors que l’écoquartier est celui du Bien : élégance des formes et noblesse des matériaux, performance énergétique et déplacement pédestre, verdure et résilience. Il suffit, pour s’en convaincre, de visionner les vidéos de présentation de l’« écoquartier des Tanneries », à Lingolsheim, près de Strasbourg.

Disponibles en ligne, elles datent de huit ans déjà, mais elles n’ont pas pris une ride. Le quartier lui-même, en revanche, en a pris quelques-unes, et ce, prématurément. Les Tanneries réelles, hélas, ressemblent seulement de loin au projet qui avait été cédé aux acquéreurs sous le régime de la vente en l’état futur d’achèvement (Vefa). « On est à deux doigts de la publicité mensongère, dénonce Sarny Lamamra, créateur d’un collectif de défense des habitants. La densité d’habitations est nettement supérieure à ce qui était annoncé, il n’y a pas de commerces de proximité et les gens se garent n’importe où, alors que c’était, au départ, un quartier piétonnier ». Le projet prévoyait peu de places de stationnement, comme si les habitants allaient renoncer à leur voiture faute de pouvoir se garer. En théorie, certes, une ligne de bus devait leur permettre de rejoindre le centre de Strasbourg sans prendre le volant.

Le problème est qu’il a fallu attendre cinq ans pour qu’une navette soit mise en place… Que les habitants des Tanneries se consolent, parce qu’on a connu pire. À Treillières, près de Nantes, un ambitieux programme de 25 logements en bois à « haute performance énergétique » a été rasé en 2017, avant même d’avoir reçu ses premiers occupants : les malfaçons étaient si nombreuses que l’éco quartier n’était pas récupérable. Les « Naturéales » resteront à jamais un de ces beaux projets de catalogue sur papier glacé promettant un super-logement, plus confortable, plus vert, plus économique, avec des services qui n’existent pas dans un programme ordinaire », comme le résume Taoufik Souami, professeur à l’École d’urbanisme de Paris. Il existe un label officiel « ÉcoQuartier », supposant le respect d’une charte assez contraignante, mais le terme n’est pas protégé. N’importe quel projet résidentiel peut donc se revendiquer « écoquartier » ou « ville durable » sans être accusé de publicité mensongère. Pour mesurer l’écart qui sépare le rêve de la réalité, voici quatre questions élémentaires à se poser, catalogue en main.

1. Mais où sont passées les voitures 

On ne voit jamais sur les images d’un projet d’écoquartier le symbole honni des émissions de CO2 et de l’individualisme étriqué. Ou alors seulement dans le lointain, comme un monstre tenu à distance. En pratique, sur l’immense majorité du territoire français, chaque ménage a une, voire deux voitures. Dans certains cas, les concepteurs des prétendus écoquartiers se contentent de ne rien faire. C’est particulièrement fréquent lorsqu’un programme a été baptisé « écoquartier » sur le tard, après avoir été élaboré comme du logement standard. Une situation pas si rare, selon Taoufik Souami. La voiture y aura sa place, ni plus ni moins qu’ailleurs, avec une piste cyclable prétexte peinte sur le bas-côté. D’autres urbanistes, sans doute adeptes de la pensée magique, réduisent le nombre de places de stationnement en feignant de croire que les voitures suivront le mouvement, comme aux Tanneries. Résultat catastrophique garanti.

Faute de places, les résidents se garent n’importe où. Une erreur dont les écoquartiers n’ont pas l’exclusivité. La SNCF l’a commise en créant la gare TGV d’Aix-en-Provence, inaugurée en 2001, autour de laquelle il a fallu ouvrir de nouveaux parkings au fil du temps. Dans un ensemble résidentiel, ce ne sera pas toujours possible. Les écoquartiers réussis (car il y en a !) organisent en général le stationnement un peu à l’écart des logements, mais pas trop, afin de réserver de la place aux piétons, sans forcer les habitants à porter leurs packs d’eau minérale sur 500 mètres revenant du supermarché.

2. À quelle vitesse pousse un arbre ?

Sur les images de synthèse des brochures commerciales, les espaces verts sont déjà luxuriants. Dans la réalité, même les arbres à croissance rapide (peuplier, saule, etc.) mettent une décennie pour atteindre une taille significative. Dans l’intervalle, l’écoquartier deviendra forcément plus minéral que prévu. Sans parler du risque non négligeable de voir sortir de terre des logements qui ne figuraient pas au programme initial, avec l’assentiment discret du promoteur, mais aussi de l’élu, ravi de voir croître non les arbres, mais la masse des contribuables de sa commune. Les malentendus avec les espaces verts ne s’arrêtent pas là : les brochures ne montrent évidemment jamais les équipes d’entretien au travail, avec souffleurs de feuilles mortes, coupe-bordures à moteur thermique et tondeuse à 100 dB. Or, sans elles, le jardin d’Éden vire rapidement à la jungle.

3. Les économies d’énergie, vraiment ?

Surenchère environnementale oblige, un grand nombre d’écoquartiers promettent une isolation hors pair et une facture de chauffage ou de climatisation ridiculement basse. Par ailleurs, les mêmes catalogues mettent en avant des logements généreusement vitrés. Dans la réalité, explique Taoufik Souami, « pour atteindre les objectifs d’économie d’énergie, la solution de facilité est de réduire la taille des fenêtres, ce qui fait qu’elles deviennent parfois trop petites ». Paradoxalement, ajoute­t-il, un des avantages indéniables des logements aux normes les plus récentes ne se voit pas. « Ils sont bien isolés, phoniquement et thermiquement », mais avec ce que le spécialiste appelle un effet rebond : « Comme les occupants savent que l’isolation est bonne, ils se lâchent sur le chauffage ou la climatisation, ce qui réduit le gain attendu sur la facture par rapport à un logement standard ».

3. Comment cela va-t-il vieillir ?

Les panneaux solaires sont tombés en panne et n’ont jamais été remplacés. Le bois des façades a noirci avec le temps. L’aire de jeu a fermé, car des dealers avaient pris la place des enfants sages qui jouaient sur papier glacé. Les commerces qui permettaient en théorie de vivre en autarcie sans prendre le volant sont partis, ou ne sont jamais venus. Bref, le quartier a mal vieilli. Comment l’anticiper ? Question délicate. La qualité des équipements et des matériaux serait à surveiller de près, mais c’est une affaire de spécialistes. En ce qui concerne le fameux vivre-ensemble, un point semble solidement établi : un écoquartier ne peut pas s’affranchir de son environnement immédiat « Raser la cité Gagarine à Ivry-sur-Seine, très bien, résume un architecte. Faire à la place un écoquartier piège à bobos pour ramener de la mixité, pourquoi pas ? Mais, si l’environnement immédiat ne suit pas, les déceptions seront au rendez-vous. Si l’architecture seule suffisait à créer du lien social, depuis le temps, on l’aurait su. »

4. Quelle est la recette du succès ? 

Avoir une ligne et être capable de la tenir est déjà un bon début. Nombre d’élus et d’aménageurs croient qu’il suffit de supprimer des places de parking et de créer une piste cyclable pour faire un écoquartier. En pratique, la piste s’arrête sur la départementale, là où elle serait vraiment utile, et le stationnement est chaotique ! L’autre manière de rater son projet est de partir avec de très bonnes intentions qui s’étiolent au fil des demandes des promoteurs. Ils expliquent qu’ils ne vont pas trouver leur rentabilité si on ne rogne pas sur les espaces verts ou si on ne renonce pas à tel ou tel matériau, prétendument trop coûteux, etc.

Le prix compte. Un écoquartier est-il plus cher qu’un lotissement traditionnel ?

Si on s’y prend correctement, non. À Bazouges, par exemple, au lieu d’évacuer les remblais par camion et à grands frais, nous en avons fait des talus. Nous avons aussi évité de poser beaucoup de canalisations en prévoyant des citernes de récupération des eaux de pluie pour les sanitaires et les machines à laver. Il a fallu se battre avec les services sanitaires, mais nous avons eu gain de cause, avec une sérieuse économie à la clé. Le cahier des charges interdisait les parpaings et le PVC. Là aussi, il a fallu convaincre le bailleur social, qui construisait une partie des logements. Sans le suivi des élus et des techniciens, le meilleur des projets court à l’échec.

Quelle place réserver à la voiture ?

Les gens ont deux voitures par foyer presque partout, il faut en tenir compte. Réduire l’espace attribué à la voiture en pensant qu’elle va disparaître ne donne pas de bons résultats. À Bazouges, au contraire, nous avons prévu des logements avec de grands garages. S’ils sont trop petits, les habitants ne s’y garent pas ! Entre l’établi, les vélos et les planches à voile, il n’y a plus de place, et les voitures restent dans la rue.

Vue de la sorte, la recette semble pleine de bon sens. Pourquoi, cependant, tant d’écoquartiers déçoivent-ils ? Je ne sais pas ! Les élus sont venus en nombre visiter celui de Bazouges, mais il ne fait pas beaucoup école. C’est pareil en Allemagne. Il y a un écoquartier remarquable à Fribourg, mais on continue à voir sortir de terre dans tout le pays des projets, comment dire … perfectibles.

MARIANNE, Erwan Seznec, 10 mars 2022