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Le triomphe de la sandale monstrueuse !

Mystères de la féminité ! De tous temps, les belles ont manifesté une attirance déroutante pour les parures tératologiques : crinolines de 3 m de large, corsets étrangleurs, coiffes à la hauteur improbable … De nos jours, les plus graciles petons aiment à se glisser dans des tatanes éléphantesques.

Les Anglo-Saxons ont un mot amu­sant pour désigner l’amour du moche qui étreint depuis quelque temps le monde de la mode : le fugly, avec  « f » pour fashion, et ugly signifiant « très très vilain ». En cet été 2022, l’offensive porte sur un bastion déjà bien attaqué : celui des sandales, devenues plus fugly que jamais. Certes, le drame couvait en sourdine. L’incroyable aventure des claquettes à voûte plantaire brevetées allemandes, les Birkenstock (dites « Birk »), est à cet égard révélatrice. Longtemps réservées aux mollets adeptes du confort sans concession, puis devenues désirables pour les urbains les plus chics (qui les portent parfois avec chaus­settes : le fin du fin), les voilà rachetées par le groupe de luxe L VMH. Le message est clair : le laid, c’est le pied. Et vous allez raquer pour ça ! Au-delà de cette OP A sur un marché porteur, désormais bien connu, l’invasion des savates pro­fanatrices du Beau a-t-elle un sens ?

CHAUSSONS POILUS

« Merci d’être velue », semblent clamer les propriétaires de cet ovni à poils ébouriffés ! Sortent-ils d’une grotte froide et humide pour avoir besoin d’une telle protection de fourrure aux arpions ? Ce côté pattes d’ours apprivoisé est apparemment du meilleur goût, ces temps-ci, y compris par forte chaleur.

Des souliers doudous qui ressemblent, en beaucoup plus clownesque, aux pantoufles à têtes d’animaux des enfants. Le télétravail a-t-il encouragé, voire impulsé, cette régression évidente au stade de la tatane transitionnelle protectrice ? A-t-il persuadé toute une génération que, en sus de lover son corps dans du molleton douillet (périphrase gentille pour jogging déformé), elle devait éviter à ses panards le traumatisme violent de vraies chaussures en dur ? Quitte à les glisser dans un cocon de douceur suffoquant, pour ne pas dire transpirant, même en été ?

C’est plausible, et ce n’est pas très rassurant pour l’évolution de l’espèce. À côté, la basket fait figure de grole de haute tenue.

MÉDUSES HYPERTROPHIÉE

La méduse est au départ cette sandale 100 % française moulée en plastique souple, née en 1946 pour suppléer au manque de cuir. Elle est alors reconnaissable à sa semelle à picots, son bout arrondi et ses lanières. Dans les années 1960 et 1970, elle est la partenaire idéale des pêches au crabe dans les rochers et des baignades en rivière caillouteuse.

Bref, elle fleure bon la plage et les vacances en Bretagne. On lui préfère ensuite la tong, plus moderne (malgré sa tendance à se barrer dans l’eau faute de brides) et fabriquée à bas prix dans des lointains sans droit du travail. Mais voilà que la méduse repointe le bout de son nez rond sur les pieds des élégantes de la saison ! Sont-elles sensibles, en ces temps troublés, à sa double ascendance enfantine et rétro, promesse d’étés nostalgiques et paisibles ? On en doute, à contempler les étranges spécimens relookés par les hybrideurs fous des griffes branchées comme Loewe, Melissa ou Miu Miu. Juchée sur une semelle plate­forme disproportionnée (dite « chunky »), travaillée en cuir vrai ou faux (o tempora, o mores !), mais quel est cet improbable et atroce soulier pour pied bot qui s’ignore ?

TONG SOUCOUPES VOLANTES

La tong, appelée aussi « flip-flop » par les Américains en raison du si classe petit bruit qui l’annonce, est un classique du relâchement estival. Elle révèle des doigts de pieds (et des talons !) qui pourtant ne méritent pas tous cette exposition. Elle génère une démarche traînante des plus agaçantes pour qui n’en porte pas. Ça ne va pas s’arranger cette année. Non seulement la tong reste dans le paysage, mais elle enfle, enfle, enfle, telle la grenouille qui voudrait dévorer le rayon chaussures. Le pied est-il la prochaine cible des « déconstructionnistes » ? Comment expliquer autrement ces chimères pataudes, ces pachydermes thermoformés, ces mastodontes grotesques que l’on voudrait nous faire enfiler sans sourciller ? Les porter, c’est un peu comme faire un trip hallucinogène, mais sans champignons. Sont-ce bien mes pieds, ces appendices étranges aux couleurs psychédéliques. Moins dangereux pour la santé, mais pas forcément sans innocuité pour l’identité du bipède humain …

Marianne, Valérie Hénau, 6 juillet 2022