Skip links

Le moment de gloire du « mamie style »

Collier de perles, tricot, tisanes… ces vieilles tendances aujourd’hui réinventées par les jeunes générations

« Dimanche, on se fait un goûter perles ». Camille et Noémie ne sont pas des petites filles modèles, ni de sages vieilles dames. A 25 ans, l’une est ingénieure, l’autre prépare une thèse en informatique. Elles se sont rencontrées en Angleterre, lors d’un séjour en Erasmus. « On écumait les pubs ensemble », se souvient Camille en souriant. Mais comme des milliers d’étudiants, la crise sanitaire les a fait rentrer dare-dare chez leurs parents. La fête, la vie pleine de mouvements, tout s’est figé d’un coup. Seuls les écrans sont restés animés. Alors, dans cette vie en distanciel, cloîtrées dans leur chambre, le besoin d’une « vraie » activité s’est imposée. Noémie a choisi le point de croix. Camille a suivi en brodant des tee­shirts achetés sur Vinted, le site de ventes de vêtements d’occasion…

Tendance du tricot

Il y a une vraie modernité dans le DIY (Do It Yourself), souligne Mieske Barbance, directrice de l’offre chez PP Yarns&Co. Il permet de créer quelque chose d’unique. Il s’inscrit dans la tendance slow fashion, la lutte contre le gaspillage vestimentaire. Et puis, avec le tricot et le crochet, on peut mener une vie mobile. On tricote devant la télé, dans les transports, où l’on veut. Ces activités sont très antistress. En occupant les mains et en vidant la tête, elles aident même à arrêter de fumer et de grignoter », poursuit-elle. Face aux ravages du capitalisme, malbouffe comprise, le DIY serait-il devenu un marqueur de gauche ? Le succès des moufles de Bernie Sanders à l’investiture de Joe Biden, en janvier 2021, semble l’attester.

Anny Blatt, la marque de patrons et de laine très en vogue dans les années 1980 (on se souvient des fameux pulls en mohair d’Anne Sinclair), vient, elle, d’être relancée par Marion Carrette, ex-startupeuse fondatrice du site OuiCar.

Les jeunes modeuses pointues raffolent de ces modèles en laine duveteuse, souvent taillés large et à manches chauve-souris, des formes jugées atrocement ringardes il y a cinq ans. Aujourd’hui, elles les tricotent (ou les font tricoter par leurs aînées) ou les chinent comme des limiers. Ajoutez une paire de boucles d’oreilles dorées style « déjeuner chez ma belle-mère », un foulard en soie un peu mémère, un sac à main digne de la reine d’Angleterre, vous obtenez l’allure d’une fille branchée des années 2020. Attention, elle n’a rien d’un sosie de Lady Di. Piercings, tatouages, sneakers aux pieds, pas de maquillage ou yeux très charbonneux, l’allure est décalée. Ainsi, sur un sweat-shirt extra-large, Zoé, 22 ans, porte un collier de perles de sa grand-mère. Parfois, elle le prête à Théo, son amoureux. Car ces derniers temps, le collier au masculin s’inscrit dans l’esprit élégant-décadent d’Henri III, des dandys du XIX » siècle ou, plus actuel, des goûts non genrés du chanteur anglais Harry Styles. C’est un choix esthétique mais aussi politique, celui du rejet des codes imposés de la virilité. Le jeune playboy, toujours au bras d’une actrice-chanteuse-top-model, mixe ainsi col en dentelle, collier de perles et costume Gucci, marque dont il est l’égérie. Ce choix est aussi financier !), et qui fut l’une des premières à intégrer dans ses collections des colifichets surannés.

Broder, c’est hype

Activité ancienne et modeste, la broderie atteint désormais les sommets de la branchitude. D’autres techniques connaissent aussi un bel engouement, comme le punch needle, broderie en laine, ou le tufting, confection de tapis avec un pistolet à touffeter, dit tufting gun. Même les tagueurs s’y mettent ! « Yooo, tu prends ton gun et tu tufes », slame l’un d’eux sur YouTube. Résultat ? Un tapis … tête de mort. Sur Etsy, la plateforme numérique américaine, les arti­sans du dimanche se muent en petits commerçants. Sur Instagram, la mention #broderie compte plus de 1,8 million de publications et sa version anglophone #embroidery près de 22 millions. Chacun y expose ses petites créations, et reçoit des autres brodeurs moult félicitations. On trouve de tout, des ouvrages « tradi » – tendance bavoirs et napperons -, la faune et la flore stylisée, des dessins abstraits, des paysages … mais aussi des œuvres féministes : ovaires, utérus et vagin délicatement brodés.

La broderie est un médium parfait pour exprimer ses idées post-# MeToo, tout en valorisant une activité traditionnellement féminine. Dès les années 1970, les artistes Louise Bourgeois et Annette Messager bro­daient contre le sexisme. Dans les années 1980, entre deux romans érotiques, l’écrivaine et éditrice Régine Deforges publiait un« Livre du point de croix» qui sortit du mépris cette activité. Dans les années 1960, Aretha Franklin chantait déjà « R-E-S-P-E-C-T ». Sept lettres à broder, toujours d’actualité.


Mounir Moha 

L’OBS, Claire Fleury, 10 février 2022