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Le modèle du marketing et de la pub qui nous proposent une idée trompeuse du bonheur est en bout de course !

Les procès en « greenwashing » se multiplient à l’encontre des publicités. D’où la tentation de plus en plus grande de limiter leur expression.

Sur l’affiche, le modèle, une jeune femme blonde aux cheveux dénoués, pose en maillot deux pièces noir et sobre, avec, en arrière-plan une plage déserte et l’océan à perte de vue. En bas du visuel, une simple mention sur fond blanc, comme une épure : « Maillot écoresponsable ». Cette campagne diffusée en affichage pour la marque de lingerie Etam s’est fait sèchement retoquer le 9 septembre 2022 par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Le Jury de déontologie publicitaire avait été saisi le 29 mai d’une plainte issue d’un particulier.

Tout avait l’air pourtant parfait, naturel en un mot, écologique. Mais le jury a estimé que la mention « écoresponsable » « apparaît disproportionnée dès lors, d’une part, que le maillot de bain promu n’est ni composé entièrement de matériaux biosourcés ni recyclable et, d’autre part, que sa fabrication au Bangladesh et sa distribution comportent nécessairement des conséquences négatives significatives sur l’environnement ».

L’affaire est révélatrice d’un changement de sensibilité des consommateurs et des associations depuis 2020, l’accusation de « greenwashing » figure en tête des « plaintes déposées auprès de l’ARPP, pour atteindre 30 % de l’ensemble », note Stéphane Martin, directeur général de l’ARPP.

Elles supplantent désormais celles qui sont relatives à « l’image et au respect de la personne » (15 %), et en particulier à « l’image de la femme », qui suscitaient jusqu’ici une abondante jurisprudence. Un coup d’œil sur l’ensemble de ces plaintes révèle qu’elles concernent, pour l’essentiel, les constructeurs automobiles, les grands acteurs de l’énergie, les producteurs agroalimentaires et le secteur de la mode.

Présidente du groupe BETC France (Havas) et coprésidente de l’Association des agences conseils en communication (AACC), le syndicat des acteurs de la communication, Bertille Toledano décrypte : « Alors que le chômage a longtemps été la première source d’angoisse des Français, il est repassé au dixième plan. En revanche, selon l’étude Ipsos-Sopra Steria (Fractures françaises, 2022), l’environnement figure désormais à la deuxième place, à 34 % ». D’où le bond du nombre de publicités sur le thème de « l’engagement environnemental », qui a atteint 5 697 campagnes en 2020 et 2021, selon le groupe de communication WNP. 

Vers une « loi Evin climat » ?

Le 10 janvier 1991, la loi Evin porte un coup fatal au très viril cow-boy Marlboro, inventé par l’agence Leo Burnett, qui en a fait la marque la plus vendue au monde pendant des décennies. La loi du ministre de la Santé de l’époque renvoie ce stéréotype aux oubliettes. A tel point que les écologistes rêvent maintenant d’une « loi Evin climat » interdisant les publicités faisant la promotion de produits néfastes pour l’environnement.

Le cadre de la loi Climat

Ainsi, parmi les décisions les plus symboliques de 2022, figurent : l’interdiction, le 1er juillet 2022, de communiquer sur les énergies fossiles; le pouvoir octroyé au maire d’encadrer les écrans publicitaires dans les vitrines; la création d’écoscores (ces étiquettes environnementales pour les biens et les services) ; le « Oui pub » affiché sur les boîtes aux lettres qui se substitue au « Stop pub » pour contrer les prospectus publicitaires « sans adresse » (un marché annuel de près de 2,3 milliards d’euros en 2021) ; la fermeture des lignes aériennes s’il existe une alternative en train en moins de deux heures trente minutes ; les premiers affichages environnementaux sur les publicités de voitures et d’électroménager. Enfin, en 2028, toute publicité sera interdite sur les véhicules les plus polluants.

Papier peint

Mensonge, c’est parfois un fait. Mais la plupart du temps, c’est presque pis : les publicités environnementales sont des « wallprint », selon l’expression imagée des publicitaires américains. En clair, elles n’accrochent pas plus le regard qu’un simple papier peint. L’étude Sustainable Brands 2022 révèle que 70 % des Français ne parviennent pas à citer spontanément une marque responsable (c’est 6 points de plus qu’en 2020). Tandis que le sondage Harris Interactive 2022 pour Mouvement Impact France indique que 75 % des Français sont méfiants à l’encontre des engagements sociaux et environnementaux des entreprises.

La faute en incombe à la novalangue, aux discours creux comme « Make the world a better place » mais aussi au manque de créativité de certaines campagnes.

Sobriété et obscénité

Pour continuer d’être crédibles et capter l’attention des Français, les agences doivent franchir un autre palier : Nous devons avoir un rôle de conseil et de stratégie pour orienter les entreprises vers des projets accélérateurs de transition écologique comme l’utilisation de matériaux biosourcés, estime Bertille Toledano. Mais il y a également un enjeu de création. Il faut parvenir à générer des imaginaires positifs autour de la transition écologique, de l’injonction « moins mais mieux » pour que la sobriété ne soit pas simplement synonyme de grelotter chez soi.

Le Monde, Véronique Richebois, 15 novembre 2022