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Plastique : Le Grand retour ?

Symbole d’une société de consommation en plein essor, le matériau pâtit depuis des années d’une image délétère pour l’environnement. Il est aujourd’hui plébiscité par des designers et éditeurs qui imaginent l’utiliser de façon plus respectueuse pour la planète.

Il y a neuf ans, Béatrice Brengues ouvrait Modernariato, une boutique d’objets et de mobilier vintage dans le 18e arrondissement ­parisien. Elle ne s’attendait pas à recevoir un accueil aussi frais des voisins venus passer une tête. « Des personnes âgées s’arrêtaient pour m’insulter. Je me rappelle d’une dame regardant un petit tabouret en plastique qui m’avait traité de “tarée” quand je lui avais dit que je le proposais à 250 euros. » Elle se souvient des réflexions qui lui étaient lancées : « Bon courage pour vendre des trucs pareils ! » ou « Comment osez-vous vendre ces objets en plastique comme des antiquités alors qu’on a été bien contents de les jeter à la benne ? ».

Car le plastique n’a pas bonne presse, il vieillit mal, s’abîme vite, se casse facilement et jaunit à la lumière. Surtout, ce sous-produit pétrolier a mauvaise réputation dans le contexte actuel de catastrophe écologique. Dans l’in­conscient collectif, il est associé aux pailles usagées des fast-foods (interdites en France depuis le 1er janvier) aux ­bouteilles d’eau minérale écrasées qui jonchent les caniveaux, aux fonds marins pollués par les billes de polystyrène, et donc aux dauphins et aux tortues agonisants, l’estomac rempli d’emballages. Accusé de tous les maux, le plastique est délaissé au profit des composants naturels et supposément vertueux – le bois, le verre ou la céramique – qui ont accompagné l’évolution de l’humanité.

Aujourd’hui tout le monde veut du bois, du métal, voire du marbre ou du tissu. Les consciences s’éveillent à l’écologie. Le style scandinave, porté vers ces éléments naturels, connaît une ascension fulgurante. Commence une période très compliquée pour les marques qui ont construit leur succès sur le plastique. Bien sûr, quelques designers inventent encore des produits plébiscités. La chaise Louis Ghost de Philippe Starck deviendra un best-seller dans les années 2000 en mariant le plastique à une version très épurée du style Louis XV. Mais la plupart l’associent à d’autres matériaux, comme le bois ou le tissu, pour le faire oublier.

Nouvelles expérimentations

Les pistes de l’avenir du plastique sont peut-être à trouver du côté des jeunes designers qui expérimentent des formes nouvelles, loin de l’industrie. L’Anglais James Shaw a fabriqué un pistolet à extruder lui permettant de réaliser des objets recyclés. Le Grec Savvas Laz récupère les emballages en polystyrène des produits informatiques, les agglomère et les redécoupe pour en faire des meubles. Des tentatives bienvenues mais insuffisantes. « Notre idée n’est pas de faire un manifeste ou des séries limitées, mais de développer des collections en série, à utiliser au quotidien », explique Guillaume Galloy, cofondateur de Noma, éditeur de la table basse Ghan dont le plateau est en plastique recyclé.

Penser la durée

Les éditeurs haut de gamme sont de plus en plus nombreux pourtant à réfléchir à la manière de le travailler de façon vertueuse, notamment en faisant appel à des laboratoires de recherche. Kartell collabore avec le Politecnico de Milan et des usines du nord de l’Italie tandis que Magis a développé avec le designer Konstantin Grcic la très légère Bell Chair monobloc de 2,7 kilos vendue 77 euros.

Dorénavant, l’urgence est d’imaginer des meubles qui durent dans le temps. « C’est surtout la qualité d’un objet qui va compter. Le problème n’est pas le plastique, mais la façon dont on l’utilise », confirme Barbara Minetto, ­responsable du développement de Magis. Dans son viseur, la fast-­décoration. Né au début des années 2000, ce secteur est au design ce que H&M ou Zara sont à la mode. Les collections sont bon marché. Les meubles et les bibelots n’ont pas vocation à se transmettre de génération en ­génération. Du fait de leur prix très bas, le mobilier et les objets sont jetés sans états d’âme. Les canapés sont souvent couverts de similicuir et les armoires conçues dans du plastique en imitation bois.

Conscients de la prise de conscience écologique de certains de leurs consommateurs, ces grandes enseignes se tournent aujourd’hui vers des matériaux en apparence plus vertueux, comme le bois (dont le mode de production est pourtant parfois très contestable, avec des objets produits en Chine et à partir d’essences d’arbres nocives pour les sols).

Une conservation problématique

Se pose aussi la question de la conservation. A l’ADAM, certaines pièces très fragiles sont placées à l’abri de la lumière. « On sait mieux conserver une momie égyptienne que certains meubles des années 1960 ! assure Arnaud Bozzini. A l’époque, il s’agissait d’une production de l’éphémère, les fabricants n’avaient pas de recul. Ils expérimentaient et se jetaient à corps perdu, sans réfléchir, dans la production de ces nouveaux matériaux. » Les spécialistes de la restauration de mobilier ancien sont de plus en plus nombreux à maîtriser la question des polymères, notamment avec la création, il y a trois ans, de la Plastics Heritage European Association, spécialisée dans la conservation du plastique dans le milieu de l’art et du design.

Une passion internationale

Si le mobilier en plastique est encore sous-coté selon ses spécialistes – « à cause de sa rareté, qui empêche un marché structuré d’émerger », estime Benoît Ramognigno –, une clientèle jeune et attirée par la culture pop se tourne vers ces modèles bien moins onéreux qu’un tabouret de berger en bois de Charlotte Perriand. Il y a là sans doute aussi une pointe de snobisme, pour mieux se démarquer des designers les plus connus, qui ont utilisé le bois.

Le Monde, Marie Godfrain, 15 octobre 2021