Skip links

Les chiens et chats sont  à la mode, comme les bagnoles.

Pourquoi sommes-nous devenus accros à nos animaux domestiques ? Seraient-ils devenus nos nouvelles marchandises émotionnelles ?

Christophe Blanchard est un interlocuteur intéressant pour parler du phénomène de la petmania. Il cumule la casquette de maître de conférences en sciences de l’éducation à la Sorbonne, et de maître… chien. Il s’intéresse de près, mais avec hauteur, à la nature de nos rapports avec nos animaux domestiques. Ils nous connectent à la nature dont nous sommes privés, mais sont aussi de nouvelles marchandises émotionnelles qui finissent, trop souvent, sur le bord de la route. Éclairage.

L’évolution de nos relations avec nos animaux de compagnies

Christophe Blanchard : On note une évolution notable depuis ces vingt dernières années. D’abord, ces bêtes sont de plus en plus nombreuses. S’investir monétairement et affectivement surtout sur le chat et le chien pour se rapprocher de la sociabilité qui manque parfois à notre humanité partagée semble être une tendance.

Ensuite, les chats ont détrôné les chiens (on en compte 15,5 millions en France pour les premiers et la moitié pour les chiens*, NDLR). Cette bascule correspond à des changements de modes de vie, avec un investissement moindre pour les citadins. Acquérir un petit félin, c’est un gain immédiat car il est très proche de la famille qui l’accueille, sans nécessiter l’investissement constant que demande le chien, notamment sur les sorties.

On observe un boom des petits chiens dans les grandes villes, au même titre qu’une explosion de plantes d’appartement

C.B. Je pense que le ressort est de cet ordre. Les modes de vie citadins conduisent à un éloignement de plus en plus obligatoire de la nature telle qu’on l’imagine. De ce fait, les gens tentent de la reproduire à domicile.

Dans les villes, on a peu de jardins, du coup on s’achète des plantes réduites. Pareil pour les animaux. Un chihuahua, c’est plus facile à éduquer qu’un dogue argentin, surtout dans un studio.

Mais là encore, il faut nuancer : ce n’est pas forcément parce qu’ils ont besoin de se rattacher à la nature que les gens adoptent un chat ou un chien. Car ce ne sont pas des animaux très     « naturels ». La domestication du chien remonte à 15 000 ans. Il a été « travaillé » pour être reproduit en série. 

Nous adoptons plus, mais nous abandonnons aussi davantage nos animaux

Cela dit quoi du rapport affectif qui nous lie à nos animaux de compagnie ?

C.B. – Pour moi, il existe une très grande logique entre la manière dont on achète et dont on abandonne nos animaux. Si l’on suppose que l’animal de compagnie est un produit de consommation comme un autre, on peut l’abandonner comme un objet, comme des fringues que l’on achète et que l’on jette.

C’est une consommation émotionnelle. On n’imagine pas que c’est une série de responsabilités. On veut juste profiter du côté esthétique. Et ça peut vite conduire à l’abandon.

C.B. – On touche à la sphère de notre intimité globale puisque nous les mettons de plus en plus en scène dans notre quotidien et sur nos réseaux sociaux, où ils deviennent même parfois des stars ; ce qui était impensable il y a encore une dizaine d’années. Ils étaient alors limités à des lieux bien définis : humains dedans, animaux dehors. Cette séparation des lieux n’existe plus aujourd’hui. L’image d’Épinal par exemple, où le chien reste dans sa niche à côté de la ferme passerait presque pour de la maltraitance à nos yeux, nous qui ne supportons plus la distinction et qui ne craignons plus d’affirmer que nous aimons nos animaux.

Les raisons qui nous ont poussés à changer notre comportement envers les animaux

C.B. – Le chien et le chat sont des produits à la mode, comme les bagnoles. De ce fait, on va vers les animaux qui nous touchent le plus. Dans ce changement de rapport, on cherche aussi tous les produits dérivés. Comme pour un enfant, avant même d’arriver, nous sommes sollicités de toutes parts pour acheter des biens liés à son bien-être. C’est la même chose pour un chaton ou un chiot.

C.B. – C’est un peu caricatural de penser qu’un animal prolonge une période sans enfant. Sinon, il existerait un stéréotype absolu de jeunes couples qui prépareraient leur paternité ou maternité de cette manière ou qui compenserait l’absence d’enfant de cette façon. Or ce n’est pas le cas. D’autant que la plupart du temps, selon les statistiques, les propriétaires d’animaux sont souvent des familles.

L’ADN, Mylene Bertaux, 06 octobre 2022