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La Défense, 1er quartier d’affaires d’Europe, se cherche un nouvel avenir plus joyeux

L’aménageur du quartier d’affaires parisien a lancé un appel d’offres pour faire revivre l’esplanade après 18 heures, la décloisonner et la végétaliser.

Mai 2020, la France se déconfine, la Défense, dans les Hauts-de-Seine, reste désespérément vide. L’esplanade est silencieuse, les rames de RER désertes, les restaurants guettent le client. Après deux mois de télétravail forcé, les salariés ont finalement pris goût aux réunions en visioconférence. Ou du moins, à ne plus traverser l’Ile-de-France chaque matin dans des transports bondés pour rejoindre leur bureau.

Le quartier d’affaires parisien, premier d’Europe, quatrième mondial, cette vision des années 1960, siège de nombreuses multinationales, aurait-il alors vécu ? Cela a-t-il encore un sens, à l’heure de la « ville du quart d’heure », cette nouvelle organisation urbaine où tout doit se trouver à quinze minutes de chez soi, de faire se déplacer 180 000 personnes chaque jour vers ce quartier de tours sans terrasses ni balcons ?

Rapidement, certains grands propriétaires des lieux s’en inquiètent. Si les salariés n’ont plus de bonne raison de venir au bureau, le quartier et, par extension, leur portefeuille d’actifs, est mort. C’est ainsi que deux dirigeants de Groupama Immobilier, Eric Donnet et Roland Cubin, dans une démarche quelque peu inhabituelle, demandent à cinq architectes français de réfléchir à l’avenir de la Défense, et notamment à ses espaces publics.

En juin 2021, au dernier étage de la Grande Arche, apparaissent à l’écran des passerelles et des jardins suspendus, un anneau qui relie les quatre portes du quartier, des immeubles de logements le long de l’esplanade. Ces projets ne verront probablement jamais le jour. Qu’importe, le débat est lancé.

La réponse de Paris La Défense est arrivée, mi-mars, à Cannes (Alpes-Maritimes). L’aménageur a profité des retrouvailles du monde de l’immobilier et de ses investisseurs, privés pendant deux ans de cette grande foire internationale qu’est le Mipim, pour lancer un appel à projets sur cinq nouvelles emprises foncières. Les terrains étaient artificialisés depuis les années 1970, mais délaissés. L’objectif est clair : contribuer à réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre du quartier d’ici à 2030 et faire vivre l’esplanade au-delà de 18 heures. Construire de nouvelles tours de verre et d’acier n’améliorera certainement pas l’empreinte carbone de la Défense, mais ce concours, « Empreintes », dont il est dit qu’une attention particulière sera portée à l’environnement et à la « mixité des programmes », marque le début d’une nouvelle page de l’histoire du quartier. Car, en parallèle, d’autres projets, notamment autour de l’« axe royal », la perspective historique qui s’étire de la Grande Arche jusqu’au Louvre, sont menés.

Animer le quartier devient une obsession

Construite sur une dalle de béton à une dizaine de mètres de haut pour mieux laisser filer les voitures en sous-sol et concentrer la fonction travail en un même lieu, la Défense a longtemps tourné le dos à ses voisines. Il est plus facile de rejoindre les allées commerciales des 4 Temps en métro ou en voiture que de s’y rendre à pied, depuis Courbevoie ou Puteaux. Les nouveaux projets doivent gommer cette fracture, espère l’établissement public. Les cinq terrains proposés se trouvent aux franges du quartier, à la lisière avec les deux villes des Hauts-de-Seine. Les accès aux immeubles et aux services envisagés seront toujours plus engageants que l’entrée d’un tunnel routier ou d’un parking, parie-t-il.

Place aux piétons et à la verdure

Les tours vieillissantes du quartier, celles des années 1970, et plus encore celles des années 1980, sont, elles, une vraie préoccupation. Des « Etats généraux » doivent leur être consacrés d’ici à la fin de 2022. Car les bureaux de nouvelle génération, tels ceux de la tour Trinity, 50 000 mètres carrés livrés fin 2020 par Unibail-Rodamco-Westfield, trouvent preneur.

Mardi 29 mars, Paris La Défense annonçait d’ailleurs une année 2021 record en matière de transactions, la meilleure de ces cinq dernières années. Les espaces sont vastes, lumineux, avec terrasse, et moins chers que les loyers parisiens. La desserte en transports est bonne, l’arrivée prochaine d’Eole et de la ligne 15 Ouest du Grand Paris ne fera que la renforcer. Il va falloir, en revanche, trouver un avenir aux plateaux énergivores et cloisonnés, comme ceux que délaisse Total pour construire son nouveau siège, un peu plus au sud de la dalle.

Une hôtellerie d’un nouveau genre pour réveiller le quartier

Le quartier de la Défense, dans les Hauts-de-Seine, n’a pas peur des contrastes : le candidat à l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) s’affiche au pied des tours du CAC 40, et l’hôtel venu insuffler la vie au quartier s’est installé à côté du groupe Orpea. Au-delà du voisinage, l’image et la trajectoire de Mama Shelter diffèrent sensiblement de celles du gestionnaire de maisons de retraite. Le 3 mars, la marque a ouvert, à Puteaux (Hauts-de-Seine), son seizième établissement, avec l’ambition de répliquer dans le quartier d’affaires le succès de ses enseignes de centre-ville.

Le pari s’inscrit dans la redéfinition de l’image du quartier, qui doit aller de pair avec son hôtellerie : aux chambres impersonnelles, d’où l’on regarde la dalle se vider de ses costumes-cravates, doivent succéder des établissements vivant jusque tard le soir. L’offre de restauration, clé de voûte de ces hôtels, doit faire converger employés de la Défense, visiteurs d’affaires et résidents de cet énorme bassin de population aux revenus élevés.

Un risque de surcapacité ?

Avec l’ouverture, en juillet, d’une résidence hôtelière, la Défense ajoute, au sortir de la pandémie de Covid-19, plus de 600 chambres à son offre, soit une augmentation d’un quart.
Y a-t-il un risque de surcapacité, alors que la fréquentation des bureaux est remise en question et que le voyage d’affaires international devrait baisser durablement ? « Ce n’est pas le pari le plus risqué, sous réserve que la Défense devienne un quartier plus mixte en matière d’usages et que l’on parle de projets raisonnables, plutôt 250 chambres que 900 », estime Vanguelis Panayotis, président du cabinet MKG, spécialisé dans l’hôtellerie.

Le taux d’occupation annuel des hôtels de la Défense dépassait légèrement les 70 % avant qu’éclate la crise sanitaire, selon l’observatoire MKG. Pour un hôtel d’affaires, cela revient à faire le plein du lundi au vendredi, hors vacances scolaires. Cependant, le redémarrage est particulièrement lent, malgré des tarifs attractifs. En février, le taux d’occupation était de 36 % à la Défense, soit 13 points de moins qu’à Paris.

Le Monde, Emeline Cazi, Clémence Guillon, 4 avril 2022