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La chaussette prend le pouvoir !

Au fil de l’Histoire, la chaussette est passée de l’anonymat le plus total à la starification sur les podiums des défilés.

Ce qui a donné au sociologue Jean-Claude Kaufmann l’envie de détricoter la chaussette, c’est cette apparence trompeuse de banalité. Certes, avant lui, le monde de la physique quantique a questionné la notion de paire, sexologues et psychanalystes se sont penchés sur son côté enveloppant, sans parler des philosophes, tel Hegel, qui la préférait trouée, car alors elle mobilisait l’esprit sur cet accident. La chaussette n’intéresse que lorsqu’elle pose un problème, et elle en pose de nombreux.

Dans la sphère intime : chaussettes qui traînent, chaussettes orphelines, dépareillées. « A partir de la Révolution, la chaussette tombe dans la banalité, où elle restera tout le XXème siècle », rappelle l’auteur.

Et tout concourt à ce qu’elle demeure invisible : « Elle se montre rarement et son existence est vouée à se faire oublier. » En plus de marcher par deux, elle est intrinsèquement double (fonction et signification).

Elle peut être marqueur de position et de classe, un signe de reconnaissance, comme c’est le cas de la chaussette rouge papale de la célèbre marque italienne Gammarelli, qui délivre un message de statut, de puissance.

Un effet de rupture

Le plus souvent, la chaussette est cependant à manier avec précaution.           « C’est ce que j’appelle l’effet irruptif de la chaussette », poursuit Jean-Claude Kaufmann. Il faut se garder de trop l’exposer. Elle peut même être utilisée pour humilier ou renvoyer à des origines modestes, être pointée du doigt pour rabaisser.

Certains hommes politiques l’ont expérimenté à leurs dépens. Elle joue parfois l’effet de rupture. « Regardez la chaussette blanche : de ringarde, elle est devenue branchée. » En matière de chaussettes, le genre demeure.

La mode féminine en a fait un accessoire. En jouant sur sa longueur, sa couleur, son épaisseur, elle est sortie de son anonymat. Les hommes, qui étaient sur ce plan à la traîne, l’ont plus tardivement prise en considération, se risquant davantage à la montrer.

Le sportswear a réconcilié toute la famille. A motifs ou à rayures tennis, tout le monde y va désormais de sa fantaisie.

Un réel accessoire de mode

Tirez un fil de la chaussette et c’est toute l’histoire industrielle du textile qui se déroule, croisant celle du made in France qui a résisté à la concurrence asiatique.

Certaines marques comme Broussaud en fabriquent depuis 1938. « Il a fallu attendre 1984 pour qu’avec les nouvelles machines on puisse réaliser des motifs et des dessins », rappelle Aymeric Broussaud, actuel PDG, qui vend 70% de modèles fantaisie.

Les hommes, longtemps, sont restés en retrait, mais, depuis dix ans, ils se soucient d’elles. Nous vendons des socquettes en été mais aussi de septembre à janvier; il n’y a plus d’interruption, nous confie Camille Zamo, responsable de la marque française Archi duchesse.

A motifs, de couleur, elle est devenue un vrai accessoire de mode qui se porte sous un costume ou, au contraire, en évidence. Elle a ses marqueurs géographiques : féminine, en lamé, chez les Italiens de Maria La Rosa; graphique et girly chez Jimmy Lion.

On en offre à Noël au pied du sapin. Influenceurs et mannequins sont passés par là. De la chaussette au genou du défilé Dior au buzz de la claquette chaussette, elle transcende les âges, les styles, les catégories socio-professionnelles. Enfin, elle s’est libérée.

Femina Journal du Dimanche, Céline Cabourg, ,19 novembre 2022