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Jeunes diplômés cherchent entreprises responsables

Un potager et des toilettes sèches ? … Vous ne préférez vraiment pas une voiture de fonction ?

Face à des diplômés en quête de sens, les employeurs doivent s’adapter.

Gare au greenwashing, ou écologie de façade, en particulier dans le monde du travail ! Les jeunes récemment diplômés aspirent à travailler pour une entreprise utile, engagée et vertueuse.

Plusieurs études confirment cet intérêt croissant des jeunes français pour ces sujets dits de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). De l’étude publiée en mai 2019 par l’école de commerce Edhec – « NewGen for good : comment la nouvelle génération va transformer l’entreprise » -, qui a réalisé un sondage auprès de plus de 2 700 étudiants, il ressort que « le respect des principes du développement durable et la démarche RSE » font partie des « trois principaux critères de choix d’une entreprise ».

Dans l’enquête « Talents : ce qu’ils attendent de leur emploi » présentée en janvier 2020 par Boston Consul­ting Group (BCG), la Conférence des grandes écoles et Ipsos, les trois quarts des sondés affirment que leur travail doit être en adéquation avec leurs valeurs. Près des deux tiers estiment que la fierté « d’avoir été utiles, d’avoir apporté des changements positifs à la société » est plus important que d’avoir exercé un poste à responsabilités.

Confrontés à ces exigences, les grands groupes tentent d’améliorer leur politique RSE pour séduire les jeunes. La Poste, classée numéro 1 par trois agences de notation extra financière (Vigeo Eiris, Ecovadis, CDP) fin 2021, coche de nombreuses cases qui peuvent les conquérir : 52,4 % de femmes salariées au sein du groupe et 50 % des cadres, 8,8 % de taux d’emploi des personnes en situation de handicap, 52,4 % des sites postaux approvisionnés en électricité d’origine renouvelable. « Lors des entretiens, les candidats qui postulent chez nous ont connaissance de ces dimensions-là, précise Valérie Decaux, la DRH du groupe.

Ils nous questionnent pour s’assurer que les valeurs que l’on porte en interne correspondent bien à l’image et au discours véhiculés en externe. Quand je leur demande pourquoi ils postulent La Poste, il y a deux réponses. La première : parce que les valeurs que vous véhiculez sont cohérentes avec les miennes. La se­conde : vous êtes une entreprise en grande transformation, donc ça confère au métier une dimension plus intéressante qu’ailleurs.

Notre limite, car on n’a pas que des atouts ? Les salaires, qui sont moins attractifs, ce qui peut être un élément dissuasif. » Pour plusieurs secteurs, il n’est pas aussi évident d’attirer la nouvelle génération.  Certains ont du mal à recruter à cause de leur produit, comme le secteur du tabac ou l’industrie de l’armement. Aujourd’hui, pour l’industrie pétrolière, c’est compliqué. L’automobile était attractive jusque dans les années 2000. Puis la courbe des CV reçus par les entreprises de ce secteur a sensiblement fléchi.

Engagement

D’après le cabinet suédois Universum, moins d’un tiers des candidats à un premier emploi croit à l’engagement des entreprises. Universum a présenté pour la première fois en janvier un classement des entreprises du CAC 40 les plus engagées en termes de RSE selon les bac +5. Sur le podium se trouvent Carrefour, Engie et L’Oréal. Contre-intuitif ? Aurélie Boufroura, diplômée de l’Institut catholique de Paris, titulaire d’un master de développement durable et logique de marché, est dans une grande perplexité : « Ce type d’audit met en avant la perception des sondés sur les questions environnementales et sociales, mais pas l’impact direct de l’activité économique de l’entreprise sur l’environnement. »

Le collectif Pour un réveil écologique, très actif sur les réseaux sociaux, a mis en place des outils qui permettent d’analyser la politique environnementale d’une entreprise. La plateforme propose des études sectorielles très pertinentes, réalisées avec une tren­aine de grandes sociétés, qui ont répondu à un questionnaire portant sur l’utilité sociale de leurs activités, la lutte engagée pour limiter leur impact, l’intégration des enjeux environnementaux dans leur stratégie financière, leurs relations avec le reste de la société. Le luxe, la finance verte, la grande distribution alimentaire en prennent pour leur grade. « C’est bien, car cela met sous pression les entreprises et cela nous aide à donner du sens aux choses, au-delà du simple fait de gagner de l’argent », confirme Benoît Serre. Victor Mongay, étudiant en troisième année à Polytechnique qui est entré dans le collectif en janvier, s’étonne encore de l’impact de leur mobilisation. « Beaucoup de personnes chargées des ressources humaines nous ont expliqué qu’elles avaient perdu des candidats car elles ne savaient pas répondre aux questions posées sur la stratégie RSE et les engagements pour la décarbonation, la raison d’être, l’utilité de l’entreprise.

Les entreprises et les administrations sont conscientes que nous avons les mêmes préoccupations que beaucoup de leurs futurs employés. On sent une très forte volonté de coopérer de leur part. »

Rémunération

Le décalage entre pratiques réelles et discours est surveillé de près. « Depuis une petite dizaine d’années, poursuit Benoît Serre, la capacité de l’entreprise à se présenter autrement que par la recherche de rentabilité est une chose importante pour les candidats. Les nouvelles générations se retrouvent sur ces critères et, phénomène nouveau, depuis la crise sanitaire, une fois à l’intérieur, il faut leur prouver en permanence que les engagements pris par l’entreprise sont concrets et bien réels. » Clément Lenoble, 26 ans, travaille comme consultant en technologie de l’information dans un groupe de télécommunication. Celui-ci, qui gagne 2 500 euros par mois, dit ne pas avoir négocié son salaire :

« Dans mon secteur, les gens gagnent plus, mais je m’en fous : l’argent, ce n’est pas ça qui me rend heureux. C’est déjà bien d’être vivant, de profiter de choses simples, de faire la fête, de voir qu’on peut faire bouger les lignes. Mon entreprise fait du greenwashing, comme tous les mastodontes des té1écoms. J’aurais pu démissionner, mais je reste, car je veux que mon action ait un impact en interne. Le fait que mon point de vue est entendu est ce qui est le plus encourageant pour moi. »

Le Point, Nathalie Lamoureux, 5 mai 2022