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« Je suis têtue comme une moule » : connaissez-vous les malaphores ?

Vous savez tous ce qu’est une métaphore, cette élégante figure de style consistant à substituer un mot à un autre pour le faire comprendre par analogie : la « faucille d’or » que voit Victor Hugo pour parler du croissant de lune. Découvrez vite les malaphores ?

Le terme, forgé dans les années 1970 par un journaliste américain, sert à désigner la métaphore ratée, celle qui se rétame pour éclater, souvent, en poésie pure. Me vient celle-ci, inventée par une vedette de télé-réalité : « Je suis têtue comme une moule. » Elle avait beaucoup fait rire. L’image est pourtant moins tarte qu’on ne croit. Les gens qui, cet été, se casseront le poignet en tâchant d’en cueillir n’en disconviendront pas : arrimé à son rocher, le bivalve a son petit caractère.

On trouve d’autres célèbres exemples de ces pataquès lexicaux dans la littérature. De Monsieur Prudhomme, savoureux bourgeois inventé par Henry Monnier : « Le char de l’Etat navigue sur un volcan. » Une forêt « où la main de l’homme n’a jamais mis le pied » est attribuée à Claude Farrère (prix Goncourt 1905), mais nul n’a pu établir s’il avait osé une figure aussi acrobatique par humour ou par distraction.

Pendant longtemps, ma préférée a été cette perle de Ponson du Terrail (1829-1871), fameux pisseur de romans-feuilletons : « Sa main était froide comme celle d’un serpent. » Quelle ne fut ma joie de constater que sa relève est assurée. Dans un tweet, en mai dernier, l’essayiste Raphaël Enthoven affirmait : « … telle une chenille qui refuserait de muter en papillon, le « macronisme » a tourné le dos à tous ceux qui voulaient lui donner une colonne vertébrale. Relisez puis réalisez. En zoologie créative, un papillon vertébré vaut un serpent à paluches.

D’autres figures de style dûment répertoriées permettent des dérapages du plus bel effet Le zeugme (du grec « lien ») consiste à atteler des termes disparates pour créer un choc de sens. Double exemple magistral dans « Composition française », poème de Prévert : « Tout jeune, Napoléon était très maigre et officier d’artillerie. Plus tard il devint empereur. Alors il prit du ventre et beaucoup de pays.»

Ces liaisons peuvent devenir dangereuses. Dans « l’Art de la table » (1961), respectable ouvrage du gastronome Pierre Andrieu, on pouvait lire : « La salle à manger sera aussi accueillante que la maîtresse de maison. On doit être heureux d’y pénétrer et n’en sortir qu’à regret ».

L’anacoluthe, nous dit le Robert, désigne une « rupture ou une discontinuité dans la construction d’une phrase ». Elle est courante, mais le plus souvent fautive. Si vous écrivez : « Étant malade, le docteur m’a demandé de rester couché », vous semblez dire que c’est le toubib qui est souffrant On est en droit de se demander ce qu’il faisait dans cet état dans votre plumard ?

J’ai découvert ma préférée il y a peu, en une de l’édition locale d’un quotidien régional : « Enfant mordu par un chien : sa famille veut l’euthanasier. » Je ne suis pas fichu, hélas, de retrouver l’origine exacte de ce titre exceptionnel.

Cela m’amène à un ultime trope : l’amphibologie, c’est-à­-dire l’expression à double sens. « Pierre loue son appart. » Dans cette phrase, on ne peut déterminer si Pierre est locataire ou propriétaire. Mon incapacité à retrouver l’origine de la susdite anacoluthe, disais-je, et, de façon plus générale, cette navrante maladie de l’inexactitude qui mine nos médias me conduit tout droit à une amphibologie qui tutoie le sublime. Elle nous est restée grâce à Georges Perec, qui en a fait un de ses « Je me souviens » : « Je me souviens aussi que « l’Express » s’étant sous-titré ‘1’hebdomadaire de la Nouvelle Vague », « le Canard enchaîné » avait fait remarquer qu’on aurait davantage attendu d’un organe de presse qu’il se vante de donner des nouvelles précises. »

L’OBS, François Reynaert, 16 juillet 2022