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Ils préfèrent rester à la maison.

Plutôt que d’aller au cinéma ou au restau, ils préfèrent peaufiner leur décoration intérieure, cultiver leur potager, regarder des films ou même jouer à Final Fantasy.

On parle que des coussins du salon

Habituée à bourlinguer aux quatre coins de l’Europe et à écumer les bars de son quartier, Juliette, 33 ans, admet volontiers s’être repliée sur son noyau dur. « La pandémie m’a obligé à me poser des questions. Depuis, je ne veux pas passer du temps avec les mauvaises personnes et faire des choses que je n’aime pas.

Avec mon mari, on adore maintenant s’occuper de notre maison. On se délecte de choisir les objets qui vont meubler notre intérieur. On ne parle plus que des coussins du salon. Et c’est trop bien. » Elle rit, un peu effarée à cette idée, mais ne rougit pas de son obsession : « On en a 7 », affirme-t-elle avec un mélange de fierté et d’excitation. « On a passé beaucoup de temps à les choisir et à les assortir… » Elle s’étonne elle-même : « Franchement, qui a ce genre de réflexions ? Jamais avant on n’aurait discuté de coussins… Lequel est bien pour tenir mon bras quand je lis, lequel soutient ma tête quand je regarde un film… »

Dans sa nouvelle vie, les week-ends à Prague ont été remplacés par des draps en percale et un lit « qui a coûté une fortune », le budget soirées au restau a été investi dans un cadre de lit en bois déniché chez un antiquaire, la bière, par l’eau pétillante et la liste des bars à essayer par celles d’objets à acquérir pour agrémenter la maison. Aujourd’hui, Juliette n’hésite plus à se déclarer « sous l’eau » et à sortir d’autres excuses « plus ou moins valables » pour éviter les rendez-vous.

Ce nouveau mode de vie l’a incitée à sortir des gens de sa vie. Mais Juliette a retrouvé de vieux amis perdus de vue autour de passions communes : la déco d’intérieur, les recettes de gâteaux, et la série Netflix La Chronique des Bridgerton.

Installée dans une flemme confortable

Ce recentrage sur la maison, Manu, 33 ans, l’a aussi expérimenté. Elle qui sortait auparavant plusieurs fois par semaine a complètement transformé sa façon de vivre. Pour cette « accro à Pinterest », tout tourne désormais autour du do it yourself et du craft.

Peu à peu, Manu réalise qu’elle aime passer du temps dans son petit appartement parisien. Depuis, Manu n’arrête plus de s’occuper les mains chez elle. Elle se fait livrer du plâtre et du béton, confectionne bougeoirs et coupelles, fabrique des pots à plantes à partir de bouteilles en verre et des bougies qu’elle coule dans de vieux pots de confitures… « Mon budget sorties part en craft… C’est tellement satisfaisant. Quand je fabrique des choses, je suis très concentrée, je ne pense à rien. Je peux recommencer 100 fois avant de réussir et cela me vide la tête. Je mets toute mon énergie là-dedans, et cela me fait du bien, de toucher des choses, des textures… »

Pour la jeune femme qui se décrit comme une « hyper-anxieuse », « c’est mieux qu’une séance chez le psy. » Avant, Manu ne se posait jamais trop la question avant de sortir, elle disait oui et puis c’est tout. « Maintenant, je me demande toujours :  « en ai-je vraiment     envie ?  » J’ai l’impression d’être installée dans une sorte de flemme confortable. Mais aussi de m’écouter beaucoup plus… »

Apéro maison et films en famille

C’est aussi ce que fait Marie*, pour son plus grand plaisir. À 45 ans, Marie reconnaît avoir toujours mené une vie « assez speed », notamment au niveau professionnel. Quand le confinement arrive, Marie est forcée de ralentir. « Finalement, cela m’allait très bien. Au moment de ressortir, j’ai vraiment ressenti une forte barrière psychologique, comme si tout était encore interdit. C’était comme si je m’étais conditionnée à ne plus avoir de perspective. »

Peu à peu, Marie s’installe dans une vie plus casanière, et apprécie même les tant redoutés apéros Zoom. « C’était parfait, on pouvait se bourrer la gueule sans se taper les transports, et ensuite rouler jusqu’à son lit. »

Des sorties « à domicile » qui séduisent Marie qui au fil des confinements se recentre sur sa famille. « C’était comme si les choses avaient disparu. J’ai instauré ce que j’appelais « une routine gagnante ». Avec mon mec et ses deux filles ados, on prenait l’apéro à la maison, on papotait sur le balcon, et on enchaînait sur un film avec ma fille de 8 ans. On sortait juste pour acheter à boire et à manger. Quand le pays s’est rouvert, je suis restée dans ce mode-là… » À tel point que Marie se voit contrainte d’inventer parfois des subterfuges pour éviter les sorties. Ce qu’elle fait dorénavant régulièrement, comme ce soir de fin de semaine où elle devait rejoindre une copine pas vue depuis longtemps.

Marie n’a pourtant jamais été du genre à se désengager. « Même s’il fallait que je prenne 3 RER avec 40 de fièvre, je me faisais violence, la notion d’engagement était très ancrée en moi. Et j’avais sans doute toujours eu auparavant un peu l’angoisse du vide… »

Plus maintenant. « C’est comme si j’avais eu un déblocage psychologique, comme si j’avais repris le contrôle, un contrôle qui me permet de me recentrer sur les choses qui m’importent vraiment, mon couple, ma famille, mon cercle d’amis vraiment proche… » D’ailleurs, Marie devait aller au restau ce soir. Finalement, elle se commandera un thaï au restau du coin et regardera un Disney avec sa fille. L’extérieur attendra.

L’ADN, Laure Coromines, 30 septembre 2022