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Ils ont créé la génération Euphoria aussi iconique que jadis la génération Punk ou Grunge

Ils sont accros à la série phénomene « Euphoria » et, comme ses héros, se mettent des paillettes sur les yeux, portent des crop tops, des bottes à plateforme et utilisent un langage ultra-codifié mais qui sont ces ados écrases par la noirceur du monde ? Rencontre avec une génération lucide et désenchantée.

Voici la génération « Euphoria ». Des bébés Z biberonnés à la série phare d’OCS avec Zendaya et l’actrice trans Hunier Schafer, et dont les tenues s’inspirent de celles de leurs personnages préférés. Avec son esthétique sublimement trash et ses thématiques adolescentes (alcool, drogue, sexe, relations toxiques, harcèlement, scarifications, transidentité), « Euphoria » a explosé les records d’audience et a surtout fait mouche auprès des ados. Car même si la série est américaine et si ses personnages ont un mode de vie beaucoup plus adulte que la plupart de nos lycéens, beaucoup de jeunes se sont reconnus dans son spectaculaire concentré de névroses et son ambiance dark flirtant avec la fin du monde.

Du côté des parents, avec ses scènes de sexe crues et les crises de défonce de l’héroïne toxico Rue, incarnée par Zendaya, la série et son univers impitoyablement réaliste fait peur. Pourtant, elle est le meilleur miroir de cette génération lucide et engagée, tellement avancée sur les questions de genre, de féminisme ou d’antiracisme qu’elle paraît parfois issue d’une autre galaxie pour ses aînés.

« J’AI DEUX PRONOMS – IL OU ELLE – ET UN DEADNAME »

Lili, 17 ans, déscolarisée depuis un an, sera à la rentrée en terminale STMG à Gif-sur-Yvette

« J’ai commencé à faire de la phobie scolaire il y a un an car j’étais harcelée pour mon look et mes cheveux. On me disait : « Ferme ta gueule, avec ta coupe de lesbienne ! »

Les élèves, pas les profs, qui étaient adorables avec moi. Cette année m’a permis de prendre du temps pour moi, de voir un psy, de soigner mes traumas. Ça m’a fait beaucoup de bien. Je reste fragile, j’ai quelques troubles alimentaires, je prends du Xanax. Je suis très addict à mon portable (j’ai 9 h 45 mn sur mon temps d’écran), je suis insomniaque et, pour dormir, j’écoute de l’ASMR ou je regarde Squeezie sur YouTube. Je le suis depuis ma CM2, je connais tout de lui : il est Verseau, EN FP good vibes. Moi je suis ENTP, comme Elliot dans « Euphoria ». C’est un type de personnalité, il y en a seize, j’ai vu ça sur Internet. J’ai deux pronoms -il ou elle – et un deadname.

« ON NE T’ENSEIGNE JAMAIS À ‘RELATIONNER’ AVEC UNE MEUF »

Angelina, 17 ans, en terminale au lycée Sophie-Germain à Paris

« J’ai déjà eu des conversations avec ma belle-mère à propos d »‘Euphoria ». Elle me demandait si c’était comme ça à l’école. Non, c’est hyperexagéré ! Dans notre génération, on parle beaucoup, on s’apprend des choses. Là, on s’est envoyé des vidéos sur le sujet du « white savior » : ce truc systématique du Blanc éduqué qui va « éduquer » un rebeu ou un Noir par le biais d’un art noble comme dans le film « Ténor ». Consternant !

Nos parents ne voient pas où est le problème. Si j’essaie d’expliquer à mon père, je vais passer pour la féministe folle et hystérique. Côté couple, je suis avec une meuf, même si je ne me suis jamais catégorisée comme gay. Je vais avec les gens que j’aime, c’est tout. Avant, j’étais avec des mecs, mais ça ne marchait pas. Ils étaient trop nuls, je n’étais pas amoureuse. Du coup, je me suis rendu compte qu’on ne t’enseigne jamais à « relationner » avec une meuf et que tu appliques des comportements que tu peux avoir avec une copine. Par exemple, on a tendance à beaucoup se comparer, notamment nos corps. Or, ça n’a pas de sens de se comparer à la fille avec qui tu es, non ? »

« DANS NOTRE GENERATION, LA SEXUALITE EST PLUS ASSUMEE »

Youliane, 17 ans, en première STD2 au lycée Turgot à Paris

« Quand j’ai vu les problèmes de Rue avec sa mère dans « Euphoria », je me suis reconnu car, chez moi, c’est chaud avec ma mère. Je suis gay mais je n’ai pas encore fait mon coming out. Dans notre génération, la sexualité est plus assumée, mais nos parents ont gardé la mentalité d’avant, surtout dans la communauté noire. La série pourrait m’aider à faire comprendre certaines choses à ma mère, mais si je la lui montre elle meurt d’un AVC.

Au lycée, ça se passe bien. Un jour, je me baladais en crop top et la CPE m’a dit qu’elle était contente de me voir comme ça. Le problème avec notre génération, ce sont les réseaux sociaux. Tu idéalises la vie des autres ou tu veux leurs vêtements et leurs corps parfaits. Tu vas te comparer H24, te dire que ta vie c’est zéro. Le problème, c’est qu’on est accros et qu’on veut tous devenir célèbres. Mais récemment j’ai pris conscience que je ne savais pas ce que vivait un influenceur. Il veut te faire croire que sa vie est incroyable, mais si ça se trouve il souffre plus que toi. »

« J’AI VU TROP JEUNE TROP DE TRUCS PORNO OU GORE »

Nawell, 17 ans, de Bagneux, en terminale professionnelle dans un lycée privé parisien

« Je me suis identifiée à Cassie dans la saison l. Comme elle, j’ai pas mal recherché l’attention des autres en me teignant les cheveux de toutes les couleurs. J’ai été diagnostiquée hypersensible, le regard des autres a toujours été un problème pour moi. J’ai aussi de l’anxiété généralisée, je suis en dépression depuis deux ans, mais je prends un antidépresseur et ça va mieux. Comme j’ai l’air d’avoir confiance en moi, on m’a beaucoup invalidée sur ma dépression. Les gens ne comprennent pas que c’est une maladie et que ce n’est pas glamour : parfois, on n’arrive plus à sortir de son lit ou on ne se lave pas pendant une semaine.

C’est bizarre, plus la parole se libère sur la santé mentale, plus les gens vont mal. Il faut dire que les réseaux sociaux c’est une catastrophe. En scrol­lant sur mon fil d’actualité Twitter, je peux tomber sur une vidéo de quelqu’un en train de se suicider. Moi, j’ai vu trop jeune trop de trucs porno ou gore. Si j’avais des enfants je les leur interdirais ! Quand je rencontre de nouvelles personnes, la première chose que je demande, c’est : c’est quoi tes pronoms ? Je suis non binaire et, en sixième, à un repas de Noël, j’ai dit à ma mère : « Je sors avec un mec Irons et je suis pansexuelle. » Elle m’a répondu : « OK, cool, mais moi je voudrais juste avoir des petits-enfants. »

« ON VA DE MEC A FILLE SANS MÊME SE POSER LA QUESTION »

Éliette, 17 ans, de Montreuil, en terminale au lycée Sophie-Germain à Paris

« Entre nous, il y a une fluidité encore plus présente que chez les 20-24 ans. On va de mec à fille sans même se poser la question de savoir si on est bisexuel. Nos parents, eux, n’ont toujours pas compris le concept de bisexualité, ils pensent que ça veut dire libertins. Moi, je suis plutôt hétéro, je ne suis pas en couple et j’attends l’amour comme dans « Lol ». Plus tard, je me vois dans un schéma plutôt classique, bobo à vélo, moissons enfants car je ne trouve pas le concept ouf. Mes parents sont nés dans un monde qui allait bien. Nous, on n’a pas le choix, on nous a donné une mission : réparer la planète saccagée par les générations précédentes. Greta Thunberg, voilà le symbole de ce qu’on attend de ma génération. Mais toutes ces manifestations pour le climat, on y est allés quand on était en troisième, et ça n’a rien changé. »

« JE NE CROIS PAS QUE JE ME MARIERAI ET QUE J’AURAI DES ENFANTS »

Coralie, 17 ans, de Saint-Ouen, en première STD2 au lycée Turgot à Paris

« J’ai été touchée par Note dans « Euphoria » pour la relation avec son père : il veut tout le temps le satisfaire, jusqu’à aller mal lui-même. Après le Covid, beaucoup de jeunes sont partis en dépression car ils voulaient rendre fiers leurs parents en faisant de bonnes études et la pandémie les en empêchait. Moi aussi, je me mets vraiment la pression. Je ressens aussi une autre pression : celle du harcèlement, dans la rue. Je ne me mets presque jamais en robe ou en jupe, toujours en pantalon, j’ai trop peur de me faire siffler ou insulter. En fait, notre génération est beaucoup plus libre question vêtements, on met des crop tops, on porte des shorts, et il y a beau­coup de vieux qui n’aiment pas ça. Ils nous traitent de « putes ». Plus tard, je ne crois pas que je me marierai et que j’aurai des enfants. Je voudrais d’abord réussir tous mes plans de vie. Et après, je crois que je me sentirai moins coupable d’adopter un enfant que d’en avoir un dans un monde qui va si mal. Il y a le changement climatique, la perte de la biodiversité, la variole du singe et maintenant la grippe de la tomate, ça fait trop de problèmes ! »

« LA SERIE A RENDU ROMANTIQUES LES PROBLEMES PSYS »

Fanta, 17 ans, en terminale au lycée Hëlëne-Boucher à Paris

« Cette série, elle a créé une vraie mode sur TikTok, avec les petits hauts à lacets de Maddie, les paillettes sur les yeux. Et elle aborde toutes les thématiques de notre génération : le racisme, le harcèlement, le genre, les violences sexuelles. Elle a aussi rendu romantiques des problèmes psys comme les troubles alimentaires ou la dépression. Dans ma classe, il y en a beaucoup qui se disent hypersensibles, ou atteints de troubles de l’attention, c’est presque une mode. C’est un moyen de se justifier et une manière d’attirer l’attention. Ça peut être vrai comme ça peut être de l’autodiagnostic. Le problème, c’est qu’à force de se dire dépressif pour tout et rien on minimise la dépression. »

ELLE, Florence Trédez, 30 juin 2022