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Faites place aux bijoux dentaires !

Bijoux dentaires, facettes, gouttières … la dentition fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. Une révolution esthétique portée par les stars de la pop culture et des réseaux sociaux, qui assimile les quenottes à de simples appendices à embellir, au risque… de s’y casser les dents !

« Non, mes dents ne sont pas couleur lavabo ! ». Mâchoires serrées et lèvres retroussées, le Dr Never pose son visage sur un lavabo. « Vous voyez, elles sont couleur ivoire, pas lavabo ! » insiste-t-il. Nous sommes sur le compte TikTok de Jérémy, un jeune chirurgien-dentiste aux 2,8 millions d’abonnés, qui poste depuis deux ans des vidéos rigolotes et instructives sur sa spécialité.

Son pseudo vient de son leitmotiv « Ne faites jamais ça ! Never [jamais en anglais] ! » Par exemple, se brosser les dents horizontalement, faire son dentifrice maison, etc. Cette fois-ci, il répond à l’un de ses followers. Couleur lavabo ? C’est presque une insulte pour ce combattant des mauvaises pratiques bucco-dentaires, mais aussi des abus au nom de la beauté. « Les dents vraiment blanches, ça n’existe pas ! » martèle-t-il, face au déferlement d’influenceurs et stars en tous genres qui affichent des sourires irréels sur les réseaux sociaux.

À l’image de Nabilla Vergara, la star d’Instagram aux 7,9 millions d’abonnés, qui dévoile à longueur d’images des dents d’un blanc éblouissant Son dentiste de Dubaï a d’ailleurs posté la vidéo de sa transformation… En janvier dernier, l’influenceuse Lila Taïeb (326 000 followers) remerciait un centre dentaire d’Istanbul. « Je suis très contente, et la ville est très belle. Merci Body Expert ! ».

Turquie, Hongrie, Colombie … ces pays offrent des soins esthético-dentaires à prix cassés. Leur offre phare ? Les facettes, ces petites coques qui camouflent la face externe des dents dites du sourire, les canines et incisives, mais pas les prémolaires et molaires, dis­gracieuses (colorées, cassées…) ou simplement pas assez blanches aux yeux des « influencés ».

En France, la facette coûte entre 300 et 1500 euros selon sa composition et le praticien qui la pose. Elle dure de dix à vingt ans. Pour adapter les dents, les premières facettes exigeaient un limage sévère – aujourd’hui allégé. Reste que la taille des dents est un acte irréversible que trop d’influenceurs présentent comme un tip (astuce en anglais) similaire à la pose de faux ongles. Parfois, bien sûr, ils ont « des galères », comme Angèle Salentino des « Marseillais » sur W9, qui en perdit une devant la caméra. Mais comme tout fait vendre en téléréalité, la scène devint un gag. « Belle, moche, belle, moche … » scandait-elle en enlevant et remettant sa prothèse.

Plutôt que de camoufler ses dents, on peut choisir de les mettre en avant avec des grillz, des bijoux dentaires. Les stars de la musique en raffolent, enfin ceux dont le look est très étudié. Et comme pour leurs vêtements, ils ont leur créateur préféré. Madonna, Jay-Z, Pharrell Williams, Kim Kardashian ou Rosalia – nouvelle diva de la pop hispanique, tous portent des grillz de la Française Dolly Cohen. Ses prothèses amovibles faites sur mesure, en or, serties de pierres ou de diamants sont de la « dentellerie » pour les bouches précieuses. La chanteuse Angèle affiche, elle, souvent des strass à son sourire. Problème, pour déposer la colle qui tiendra le brillant, il faut pratiquer un microtrou dans la dent.

L’alternative à cette mode délétère ?

Les strass autocollants, mais leur tenue est éphémère. Plus en vogue encore : les décalcomanies dentaires que l’on dévoile en retroussant la lèvre supérieure, façon chien prêt à mordre. La tendance bad boy à chicots n’est pas nouvelle, songez à JoeyStarr, tout d’argent denté dans ses jeunes années. Mais, aujourd’hui, ce sont de jeunes coquets qui personnalisent leurs dents avec des décalcos fluo voire … noirs.

Le must ? Les assortir à un tatouage sur la langue, que l’on tire pour le montrer tout en exhibant ses piercings.

Des pieds de nez à la beauté standardisée ?

Pas tout à fait, car l’autre grande tendance du moment est aussi au réalignement de la denture, grâce à l’invention des gouttières en plastique transparent. Ce dispositif permet aux adultes de les redresser discrètement. « A 15 ans, tous les ados ont des bagues, mais pas à mon âge ! » confie Florence, 55 ans, qui porte des gouttières depuis dix-huit mois. « Sur les photos, je trouvais mon sourire pas terrible, ça me gênait, poursuit cette directrice financière à Paris, alors je suis allée voir l’orthodontiste de mes filles. » Il lui a fallu attendre d’avoir le budget nécessaire.

Car avoir des dents bien alignées, même si elles ne sont pas en or, c’est de l’argent, beaucoup d’argent. « En tout, ça m’a coûté 5 000 euros », précise-t-elle. Il faut dire que les gouttières successives sont fabriquées par un prothésiste ou une entreprise comme Invisalign, le leader du marché, à partir d’images 3D de la dentition puis d’un logiciel qui modélise la correction. On change de gouttières tous les quinze jours pour redresser peu à peu chaque dent.

Et c’est long … Une patience dont les porteurs de gouttières low cost n’ont plus besoin. En juin dernier, sur d’immenses publicités, un certain Dr Smile promettait « d’aligner vos dents en quatre à neuf mois grâce à nos aligneurs dentaires invisibles ». Cette entreprise allemande qui vient de s’implanter en France annonce avoir équipé 100 000 personnes en Europe, des femmes à plus de 68 % et des moins de 35 ans à 67 %.

Ce qui n’est pas sans inquiéter Jean-Baptiste Kerbrat, président de la Société médicale d’Orthopédie dento-maxillo-faciale (SMODMF) et stomatologue à Rouen et à l’hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris : « Pousser une dent est un acte médical, or, là, on est dans la cosmétologie. Les dents sont faites pour s’emboîter, comme un engrenage. Sans engrènement, l’alignement est insuffisant. Ainsi, j’ai soigné une patiente qui avait bien suivi son traitement vendu sur internet mais dont les mâchoires n’étaient pas l’une en face de l’autre ».

Enfin, il rappelle qu’un suivi post-traitement est indispensable. Et que, parfois, la solution est sim­plement fonctionnelle. Car les dents font partie d’un tout où chacun joue sa partie. À force de l’oublier, on risque un jour de … rire jaune.

L’OBS, Claire Fleury, 15 septembre 2022