Skip links

Et si c’était le dressing de demain ?

Cuir de champignon, jean en toile d’ortie, blouse en soie de toile d’araignée, et si c’était le dressing de demain ? Enquête sur ces biomatériaux aux propriétés fascinantes, qui ne nuisent ni à la planète ni au style.

On le sait, l’industrie de la mode est responsable de 20 % des rejets d’eaux usées et de 10 % des émissions de dioxyde de carbone (C02) dans le monde. Mais le secteur a pris conscience qu’une révolution verte était vitale pour son image comme pour la planète. La liste des initiatives écologiques est longue. Il y a bien sûr le coton bio ou le polyester recyclé à partir de bouteilles en plastique, les matières ancestrales (le lin et le chanvre, peu gourmands en eau et en pesticides) qui reviennent, mais l’industrie de la mode nous prépare un cocktail bien plus surprenant.

Fruits de partenariats avec des start-up spécialisées en biotechnologies, des fibres nouvelle génération dérivées de déchets ou de micro-organismes voient le jour. Un marché immense, aujourd’hui cantonné aux collections capsules, mais qui compte vite passer à l’échelle industrielle. L’ambition ? Remplacer les matières synthétiques et le cuir utilisés par le prêt-à-porter, la maroquinerie et le secteur de la chaussure.

Fin mars, Première Vision, salon dédié aux matières premières, a accueilli 50 % de collections s’inscrivant dans une démarche écoresponsable, quand il n’y en avait que 20 % il y a trois ans. « Maintenant, il faut que les marques investissent dans ces fibres », affirme Carine Montarras, cheffe de produit Première Vision. Alors, quelles sont celles qui révolutionneront à jamais nos placards ? Best of des plus écologiques.

Du cuir à base de champignons

Ce qui fait frétiller la mode ? Le cuir créé à partir de champignons, ou plus exactement, à base de mycélium de champignon (les racines blanches de l’ami des sous-bois, recréées en laboratoire). « Aujourd’hui, il s’agit de la fibre la plus proche du cuir et la plus écologique, explique la créatrice de mode écoresponsable Stella McCartney. Sa culture réalisée à partir de déchets agricoles, tels que des épis de maïs ou des résidus de chanvre, nécessite peu d’eau, peu d’électricité, et sa fabrication est rapide ».

À titre d’exemple, pour la même quantité de cuir, la production dure trois semaines avec les champignons contre trois ans avec un animal. Le résultat ? Une toile qui possède la même résistance, les mêmes propriétés visuelles et le même toucher que le cuir, sans le sacrifice d’aucun animal. Et elle est renouvelable à l’infini.

De la lingerie à base de lait périmé

La lingerie, mauvaise élève de la fashion ? Elle pose problème, car elle est souvent confectionnée à base de Nylon ou d’acrylique. Quant aux cotons utilisés, ils contiennent des produits chimiques, résidus de la culture et du traitement de la fibre. « Il y a cinq ans, j’ai commencé à m’intéresser à la caséine, la protéine de lait déjà utilisée aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale pour produire des vêtements de l’armée et destinée à se substituer à la laine.

Aujourd’hui, le processus qui vise à en tirer du fil s’est beaucoup amélioré, mais ses bases de fabrication sont les mêmes. On prend du lait de vache périmé, on en extrait la caséine que l’on fait sécher. Mélangée à de l’eau et à d’autres composants naturels, la protéine de lait se transforme en une fibre douce », explique Pascale Larere, créatrice de la ligne de lingerie Germaine des Prés, qui croit dur comme fer au potentiel de cette matière. Elle est 100 % compostable et anti­bactérienne, idéale pour les personnes allergiques aux produits chimiques.

Du denim à base d’orties

C’est à l’entreprise française Velcorex que l’on doit le premier et seul jean à base d’orties de toute l’histoire du denim en France. Le hic : le projet est encore au stade expérimental, la culture de l’ortie étant marginale en France. « En 2015, nous avons imaginé un prototype de jean en toile d’ortie sur cent exemplaires. Une merveille ! », s’exclame Pierre Schmitt, patron du groupe Velcorex et d’Emanuel Lang, en Alsace.

Cela va plus loin : le spécialiste garantit que cette plante exceptionnelle peut résoudre beaucoup de problèmes de pollution et d’épuisement des ressources naturelles. « Si l’on s’y prend bien, l’ortie se cultive partout, sans eau ni engrais ou pesticides. Et, en plus, elle régénère les sols ». La culture s’accroît en Allemagne, elle figurait parmi les premiers pays à fabriquer des chaussettes en ortie pour ses soldats durant la Première Guerre mondiale.

De la soie en toile d’araignée 

Quel est le point commun entre un ver et une araignée ? Ils produisent de la soie. A la différence que les vers meurent souvent pendant le processus de fabrication. Pour imaginer une alternative respectueuse du bien-être animal, des chercheurs ont répliqué en laboratoire la structure ADN de la toile des arachnides, l’une des plus solides de la nature. « On n’a jamais rien fait de plus résistant, la soie d’araignée est trente fois plus résistante que l’acier.

Tout l’effort des scientifiques a consisté à domestiquer des micro-organismes plutôt que des animaux », explique Barbara Coignet, fondatrice de l’agence de luxe durable 1.618. Car cette soie dite d’araignée est issue de protéines introduites dans la levure et fermentées avec du sucre et de l’eau.

Des teintures à base de bactéries 

Au-delà des matières, la confection d’un vêtement passe par la coloration, souvent très polluante. Il faut savoir que, actuellement, 99 % des colorants utilisés dans l’industrie sont issus de ressources fossiles, responsables de l’émission de 50 millions de tonnes de CO2 par an, un chiffre affolant.

Et ce n’est pas plus vertueux pour les pigments d’origine végétale. L’entreprise française Pili estime que, pour cultiver l’indigo nécessaire à la coloration des jeans vendus partout dans le monde, il faudrait exploiter l’équivalent de la surface agricole de l’Allemagne. « L’enjeu est de créer des filières de colorants écologiques.

Dans cette logique, Pili a développé un processus de fermentation, grâce à des bactéries, qui réduit le bilan carbone de 50 à 90 %, en cohérence avec l’accord de Paris », explique Marie-Sarah Adenis, cofondatrice de cette entreprise toulousaine fondée en 2015.

Autre élément clé : ces colorants couvrent une gamme extraordinaire, aussi diversifiée que les références que l’on trouve aujourd’hui sur le marché. Et, à l’avenir, ils pourront s’appliquer à un large éventail de tissus (laine, soie …).

ELLE, Ilaria Casati, 14 avril 202