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Et si ça redonnait du sens à sa vie ?

Coach de manageurs, coach de vie, facilitateur… Ces métiers attirent toujours plus de cadres en quête de sens qui entendent transformer leur expérience en expertise. Et qui espèrent, en devenant indépendants, gagner en qualité de vie.

Sur le tableau, des schémas représentent des montagnes à gravir ou des personnages reliés par des flèches. Ce matin-là, un groupe de huit inscrits au diplôme « Pratiques du coaching » de l’université Paris-VIII revient sur les séances menées par chacun dans le cadre de la formation. Devant les autres participants, Anne Thouin, 47 ans, évoque ses doutes. « Parfois, je me demande si je ne vais pas au-delà de mon rôle de coach avec mes clients, si je ne déborde pas sur le cadre de la thérapie », raconte cette ancienne enseignante, qui a décroché de l’éducation nationale pour se lancer dans le coaching. Nabil Tak Tak, le coordinateur pédagogique de la formation, précise à voix basse : « Ils sont bien aiguillés sur ce point : nous ne sommes pas des psychologues. »

S’en sortir par ses relations

Devenir entrepreneur, par exemple en tant que coach, représente une porte de sortie d’une société qui ne leur convient plus, dans une tendance de fond de « valorisation de l’indépendance » par les pouvoirs publics, analyse Scarlett Salman. Après une carrière de dix ans dans le management à l’international, Jenny Chammas, 37 ans, se rend compte qu’elle ne parvient plus à évoluer dans son secteur. « Je me suis fait coacher et je me suis dit que j’avais envie de diriger ma boîte », explique la jeune femme, qui s’est formée en 2018 à la Life Coach School, aux Etats-Unis, puis a monté son entreprise de « coaching de vie » – quatre salariés aujourd’hui.

Si ce métier attire les cadres en quête de reconversion, c’est aussi parce qu’il est accessible. Certes, les formations ont un prix élevé, mais elles sont courtes, peu sélectives et mènent à une profession dérégulée. « C’est une aspiration libérale et une autre vision de la méritocratie : ce métier valorise celui qui s’en sort non par ses diplômes, mais par ses relations et son expérience », souligne Scarlett Salman, qui observe que des dispositifs comme les bilans de compétences, qui insistent souvent sur l’enjeu du « sens », sont aussi des éléments porteurs de cette tendance.

Quand elle était cheffe de projet, Kimiya Mery, 36 ans, s’est essayée au mentorat en parallèle de son activité. « J’ai découvert qu’aider les gens à grandir était ce dans quoi je me sentais le plus à l’aise et le plus performante. » Elle s’est reconvertie en suivant une formation à l’Activision Coaching Institute et a été embauchée comme directrice

« Happiness » dans une agence de communication. « Par le passé, j’ai connu des difficultés à trouver ma place : personnellement, entre deux cultures (française et iranienne), et professionnellement car, étant haut potentiel intellectuel, il m’était difficile de trouver un espace adapté. J’utilise ces expériences pour ouvrir la voie à d’autres », explique-t-elle.

Le « tournant personnel du capitalisme »

Au sein des entreprises en particulier, où les demandes en coachs ou en facilitateurs (qui pratiquent une sorte de coaching de groupe) sont de plus en plus nombreuses, constate Marc Beretta, directeur de l’école de coaching de HEC. « On accompagne une évolution de la société et d’entreprises qui prennent le tournant de la RSE [responsabilité sociétale des entreprises]. » Cela a amené l’école à doubler ses effectifs, avec 200 personnes formées par an – qui déboursent chacune 23 900 euros. Des reconvertis qui « veulent réinventer le monde de l’entreprise en permettant aux personnes d’être actrices de leur vie ». Scarlett Salman appelle ce phénomène le « tournant personnel du capitalisme », déléguant aux individus la responsabilité du bon fonctionnement des organisations.

Mais bien au-delà des entreprises, ce qui se dessine ces dernières années, c’est « une diversification des champs d’action du coaching : il s’est étendu partout, observe Nicolas Marquis. Et parfois avec des contours très flous, comme le pointe la Miviludes ». Dans son rapport annuel publié en 2021, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires signalait une multiplication par trois du nombre de saisines concernant des coachs sur la période 2018-2020.

Engagement militant

Beaucoup, en plus d’un nouveau métier, viennent aussi chercher une réalisation d’eux-mêmes : mieux se connaître en aidant les autres. Un « processus transformationnel » assumé comme tel par les formations. Mathieu Granger, 30 ans, devenu facilitateur dans la transition écologique après un début de carrière comme ingénieur, raconte se sentir aujourd’hui « très nourri humainement » par sa nouvelle profession. La reconversion rencontre, chez lui, un engagement militant.

Avec d’autres jeunes diplômés, Mathieu a créé l’école itinérante Fertîles, qui propose notamment des formations pour devenir facilitateur. « On forme à la facilitation dans le secteur des transitions écologiques car c’est un milieu avec beaucoup de burn-out et de pression. Ceux qui viennent se former ont souvent connu des désillusions dans un projet qui avait du sens pour eux mais dont la manière d’organiser les liens humains ne leur convenait pas », explique Audrey Dufils, chargée de ces formations.

Elle note toutefois qu’il demeure difficile de vivre de ces métiers. « Beaucoup commencent en facilitation par des petites missions ou du bénévolat, afin de se créer un réseau », dit-elle. « La démarche prend du temps et il faut souvent deux à trois ans avant de se lancer pleinement », abonde Marc Beretta. L’International Coaching Federation signale que, pour les coachs qui ont réussi à lancer leur activité, le revenu annuel moyen s’élève à 46 000 euros. « Mais il faut faire la différence entre l’élite du coaching, qui accompagne des personnes haut placées et qui avait déjà un réseau solide, et la majorité des coachs, qui ne peuvent pas pratiquer les mêmes prix », complète Nicolas Marquis. Presque tous conservent une pluriactivité : formateurs, consultants… Et bien souvent, pour gagner leur vie, forment à leur tour des coachs, qui formeront d’autres coachs.

Le Monde- Marine Miller- 24 mars 2022