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En route vers l’habitacle du futur !

Intelligents et connectés, les cockpits de nos voitures vont devenir de véritables salons roulants. Une révolution copernicienne.

Sur l’écran du tableau de bord, côté passager, la vidéo en haute définition d’un skieur descendant tout schuss une piste effrayante. Dans les haut-parleurs placés dans la têtière, le crissement des skis sur la neige, tandis que le siège vibre au rythme des bosses avalées par l’athlète. L’immersion est totale. Le plus bluffant ? Le conducteur de cette Porsche Cayenne prototypée par !’équipementier français Faurecia n’est nullement perturbé par notre performance sportive par procuration. Son espace sonore est entièrement dédié à la radio et aux indications GPS.

A l’arrière, les deux passagers ont transformé les sièges en petit canapé d’une simple pression du doigt et peuvent profiter de leur film d’action comme à la maison. « Nous travaillons sur l’individualisation de l’expérience, en développant notamment ce que l’on appelle des bulles sonores », explique Sylvain Gouiran, chef de programme dans l’équipe cockpit du futur de Faurecia.

Des innovations qui ne devraient arriver dans les modèles de série qu’en 2025, en essaimant classiquement dans les véhicules haut de gamme avant de se démocratiser. Mais l’habitacle de nos voitures a en réalité déjà amorcé une mue profonde, sans que l’on n’y prenne garde. La nature humaine est ainsi faite : chaque progrès devient dans l’instant un acquis, et le passé n’a jamais existé. Il n’y a pas si longtemps, pourtant, les réflexions des industriels pour aménager l’intérieur d’un nouveau modèle se résumaient à savoir à partir de quel niveau de gamme il fallait recouvrir les sièges de cuir et disposer des essences de bois rares sur le tableau de bord. Le double porte-gobelet en plastique dans l’accoudoir central faisant office de raffinement ultime au service de l’homme moderne.

« De 2016 à 2021, le nombre moyen d’écrans par voiture a déjà doublé »

Aujourd’hui, n’importe quel modèle récent dispose à minima d’un écran tactile offrant ce que les spécialistes nomment pompeusement la continuité numérique. En clair, qui vous permet de retrouver vos applis préférées. « Les smartphones ont bouleversé les usages dans l’interface homme-machine, pointe Michel Forissier, le directeur de l’ingénierie de Valeo. Désormais presque tout se fait via l’écran, et ce dernier relie la voiture au reste du monde en se connectant à Internet. » Et nous ne sommes qu’à l’orée de cette révolution numérique. De 2016 à 2021, le nombre moyen d’écrans par voiture a déjà doublé, et cette tendance va se poursuivre, assure Thomas Weber, directeur associé au Boston Consulting Grou p. Des écrans plus nombreux et toujours plus imposants. Sur la Mercedes EQS, une berline électrique commercialisée depuis l’été dernier, l’écran mesure 140 cm et recouvre l’intégralité du tableau de bord. Il s’agit en réalité de plusieurs dalles, mais l’effet visuel est bluffant. Prochaine étape : l’affichage tête haute, comme dans les avions de combat. « Une projection laser permettra d’afficher directement sur votre pare­brise les principales informations, comme votre vitesse, ou encore les flèches de navigation GPS pour prendre une sortie d’autoroute », détaille Michel Forissier.

La mue de nos habitacles a également été encouragée par les promesses d’autonomisation rapide des voitures. Cela a obligé les équipementiers et les constructeurs à passer d’un focus presque exclusivement porté sur la conduite (confort, praticité et visibilité du tableau de bord) à une vision plus globale de l’intérieur du véhicule, souligne Maxence Tilliette, directeur exécutif chez Accenture.

Selon le cabinet de conseil, au cours de sa vie, un Français passe en moyenne trois ans et dix mois en voiture ; si le conducteur n’a plus à regarder la route, alors l’habitacle est appelé à devenir un véritable salon roulant, avec des sièges capables de pivoter pour faire la causette. Certes, les ingénieurs se sont depuis heurtés au triple mur des réalités financières, technologiques et réglementaires. On estime désormais que les voitures totalement autonomes n’essaimeront pas avant 2035. Mais toute cette réflexion ne s’est pas faite en pure perte.

Les modèles électriques, qui ont vu leurs ventes bondir partout sur la planète, ont en effet repris le flambeau de cette course à l’habitacle du futur. Du temps où les voitures thermiques régnaient sans partage, la motorisation était un des points clefs dans la décision d’achat. Mais il n’y a rien qui ressemble plus à un moteur électrique qu’un autre moteur électrique. L’habitacle est donc devenu un enjeu fort de différenciation, souligne Michel Forissier. « Et même les petits modèles intégreront très vite des technologies de pointe pour amener de l’attractivité et compenser un prix qui reste assez élevé par rapport à leur équivalent thermique », pointe Etienne Sorlet, directeur marketing sièges chez Faurecia.

La nécessité de préserver les batteries oblige par ailleurs les ingénieurs à trouver des matériaux plus légers et à imaginer des solutions moins énergivores. L’air conditionné pompant à lui seul de 20 à 30 % de l’autonomie, les équipementiers proposent de chauffer uniquement la place du conducteur, quand il est seul, via un système de nappe chauffante dans le siège et de panneaux radiants dans les portières. « Nous essayons également de réduire la consommation des écrans en travaillant sur la visibilité perçue avec une luminosité moins forte », explique Sylvain Gouiran de Faurecia. Mais les voitures « vertes » ne sont pas seulement synonymes de contraintes. Côté avantages, « la discrétion sonore des moteurs électriques facilite notre travail sur l’interaction vocale avec le véhicule (pour changer de radio, baisser la température …) », souligne Michel Forissier.

Surtout, les moteurs électriques sont presque increvables. Là où les diesels, réputés pour leur robustesse, arrivent en fin de vie à l’approche des 250 000 kilomètres, on commence à voir des Tesla ayant dépassé le million de kilomètres. « Cela nous amène à penser l’habitacle de manière beaucoup plus durable, et à réfléchir au moyen de le faire évoluer tout au long de la vie du véhi­cule », souligne Etienne Sorlet. Il y a bien sûr la possibilité d’améliorer la partie logicielle à distance, popularisée par Tesla et reprise peu à peu par les constructeurs historiques, qui permet d’ajouter de nouvelles fonctionnalités. Faurecia réfléchit ainsi à des options payantes pour débloquer des filtres audios améliorant la qualité du son, alors que Valeo travaille sur des jeux d’ambiance à base d’images et de lumières relaxantes.

Que la motorisation soit électrique ou thermique, les industriels continuent bien évidemment de travailler en parallèle à renforcer la sécurité de l’habitacle. « Nous avons développé un système de caméras capable d’anticiper l’endormissement chez le conducteur : la voiture va alors vous envoyer un trait de lumière ou faire vibrer votre siège pour vous alerter », détaille Michel Forissier. Plus étonnant encore, Valeo a également imaginé un dispositif capable de détecter si au moment où vous redémarrez, après avoir fait vos courses par exemple, l’enfant qui était à l’arrière a bien repris sa place. « Ce système, par ailleurs peu coûteux, est capable de faire la différence entre un adulte, un enfant et un animal », se félicite le directeur de l’ingénierie de Valeo. « Le fait que la voiture puisse désormais nous « lire » est une révolution à part entière », souligne Thomas Weber. Le véritable défi de l’habitacle du futur sera de trouver le juste équilibre pour que le confort et le fun ne prennent jamais le pas sur la sécurité des passagers.

L’Express, Emmanuel Botta, 12 mai 2022